La diva du faubourg
le-fox
Un jour, Saturnin fit l’acquisition d’un dictionnaire. Un gros, avec les noms propres et les noms peu communs. Après cela, on verrait s’il était toujours l’analphabète, l’illettré de service. On verrait, s’il était toujours en butte aux dédains de la Tosca, laquelle ne manquait jamais de lui faire remarquer qu’il avait la comprenette d’un bigorneau.
La Tosca… Ainsi nommée parce que son homme, marloupin des fortifs, était tombé sous les balles des argousins le soir où se donnait, pour la première fois à Paris, l’opéra du même nom. Princesse du faubourg, elle irradiait cette beauté que seuls les ruisseaux de la Bastoche ont la fantaisie de façonner parfois, au hasard d’une impasse, au détour d’une mansarde.
A peine Puccini encensé, et Paulo expédié à Thiais, tout ce que la porte Saint-Martin comptait d’individus mâles en âge d’honorer les dames comme il se doit se mit à tourner autour de cette accorte veuve de la main gauche, qui se révéla, à l’usage, joyeuse. Chacun voulut la marquer de son fer, la faire entrer dedans sa gibecière pour ne l’en plus sortir ; mais la belle, échaudée sans doute par le chagrin cruel que laisse la perte d’un seul, et voulant minimiser les risques, avait décidé de partager ses charmes. Méprisant à la fois la vérole et les mauvaises langues, elle distribua les rendez-vous comme on distribue les cartes, avec application, sans tricher. Comme elle avait, de l’avis général, le câlin expert, on finit par se faire à l’idée qu’elle serait à tous, à défaut d’être à un seul. A tous, sauf à Saturnin, que le spectre sautillant de l’onanisme guettait dans la sciure de l’arrière-boutique. Non qu’il fût mal tourné de sa personne, Saturnin ; simplement, elle le trouvait trop moule.
Ce qui était assez injuste. Sans avoir inventé le filet d’eau tiède propre à couper le beurre, il se situait dans une honnête moyenne. Mais il avait le défaut d’utiliser des mots dont il ignorait le sens, leur donnant une signification au petit bonheur, en fonction de leur consonance. Il mélangeait hardiment félibrige et fébrifuge, délétère et délateur, firmament et filament. Et encore, ces exemples ne sont-ils donnés que parce qu’une fois, il avait assuré qu’ayant été saisi d’une terrible mitaine (migraine ?) en contemplant le filament, il s’était vu contraint d’avaler un félibrige tellement délateur qu’il l’avait immédiatement vomi dans les robinets (probablement cabinets ?). Seuls les champions de rébus et les nonettes en mal de pénitence se risquaient à soutenir avec lui toute conversation excédant deux phrases. Les autres, renonçant à le comprendre, se bornaient à le traiter de cervelle d’huître. Or, pour rien au monde, Tosca n’aurait consenti à jouer à la main chaude avec un demi mollusque.
Le plus inouï, dans l’affaire, est qu’il se savait parfaitement infirme sémiologiquement parlant. Ça ne l’avait jamais gêné ; du moment qu’il se comprenait, eh bien, ses interlocuteurs n’avaient qu’à faire un effort. Ce ne fut que lorsqu’il vit, désolant spectacle, les cuisses de Tosca se refermer jusqu’à devenir hermétiques (et non pas émétiques) à son approche, et cela, uniquement à cause du vague à-peu-près de son discours, qu’il décida, pochon qui s’en déduit, de donner à chaque mot sa nuance précise, exacte, parfaite. Ainsi qu’il le dit lui-même à qui voulut bien l’entendre : cette fois-ci, le pieu en valait la rondelle.
Il plongea donc à corps perdu dans les sept volumes de son dictionnaire tout neuf, l’apprenant par cœur de A à V, les quatre dernières lettres n’offrant que peu d’intérêt, sauf peut-être xylophage, parce que ça bouffe le mobilier, c’est ennuyeux dans un quartier d’ébénistes, et zèbre, parce qu’un zèbre, c’est plutôt marrant. Il s’émerveilla tour à tour de constater qu’un eczéma n’était pas une interrogation écrite, qu’une religieuse au chocolat pouvait être une bonne sœur diabétique, mais pas forcément, qu’un beffroi n’avait rien à voir avec une trouille bleue.
Puis, le langage fleuri de ses plus beaux atours, il se mit en quête de Tosca.
Hélas, tout ceci avait pris un certain temps. Temps que cette traîtresse, volage, avait mis à profit pour redevenir Félicienne, et mettre ses appas au chaud d’une fortune de province avant l’usure prématurée d’iceux. Sage et cornélienne précaution ; marquise, si mon visage, on connaît l’antienne. Moralité : planquons nos roses avant qu’elles ne se fanent.
Le spectre, dans la sciure, accueillit Saturnin avec de grands transports d’allégresse, et lui confia même, en vieux complice, un truc pour éviter les cals aux mains.
Saturnin, que tout le monde s’accorda désormais à trouver un peu pédant. Toujours aussi moule, mais par surcroît un peu pédant.
Le xylophage n'a pas bouffé ton stylo, bonne nouvelle ! La bestiole n'aime pas l'or ? Super texte, bravo !
· Il y a presque 12 ans ·Anne S. Giddey
On rit Gaule !
· Il y a environ 12 ans ·marie-roustan
Bravo !
· Il y a environ 12 ans ·myos
Du Fox en verve, cela donne un texte magistral! Clap! Clap!
· Il y a environ 12 ans ·Elsa Saint Hilaire
Par contre je trouve consternant que tu accables les fruits de mer et autres mollusques lors de tes digressions comparatives avec ce pôvre Saturnin.
· Il y a environ 12 ans ·En effet, que sait-on du QI des huitres? Quelqu'un a t-il des preuves de l’absence d’intelligence de ce savoureux bivalve capable de produire des rondeurs nacrées et des pointés sauvages??? hein??? Voui, gardez pas ça pour vous, faites circuler, y paraît que l'huitre est aphrodisiaque !
lyselotte
Vrai con ! non, pardon, très bon ! et même excrément ! Non pardon, excellent !
· Il y a environ 12 ans ·Dominique Arnaud
belle langue bravo
· Il y a environ 12 ans ·franek
merci à Lyse ce fut troucoulant à souhait comme disait celui qui avait une telle diarrhée que ses sphincters s'essoufflaient à vouloir tout contrôler ! ... j'adore bravo moi je dis MONSIEUR Renard !
· Il y a environ 12 ans ·woody
Un soupçon d'aphasie ?-) Une écriture fantaisiste, voire une superbe plume...Bravo !
· Il y a environ 12 ans ·Et merci à Lyse pour le partage !
Pascal Germanaud
A mon avis il s'y colle mais il ne nous en fait pas (trop) profiter !
· Il y a environ 12 ans ·Un régal en effet. De la "gouaille", et tout le reste qui fait qu'on en redemande.
Mathieu Jaegert
L'opéra des argousins ..... c'est de qui ?
· Il y a environ 12 ans ·Un bigorn khoz moule et pédant ..... ce serait pas un ministre ?
yfig
Très chouette
· Il y a environ 12 ans ·Manu
Holala ! mais que c'est bon ça !! Comme ma copine du haut, me suis régalée du début à la fin ! j'adore vraiment !! tout !! COUP DE COEUR géantissime pour cette fabliote qui m'a donné la banane ! Tu pourrais pas t'y coller plus souvent, à l'écriture, dis???
· Il y a environ 12 ans ·lyselotte
Bravo c est extra,lats,trame parka parquet parfait mets d interstice,Merci pour ce lacté ramequin plein d en train,Bonne soirée a vous.
· Il y a environ 12 ans ·Fil,Hip,Oohhh, 18 Rockin Cher