Lettre à Blanche-Neige (Déconseillé aux amateurs de contes de fées)

mls

A : Blanche-Neige, Chaumière dans la Forêt

De : Prince Charmant, Palais des Mille Lunes

Blanche-Neige,

Laissez-moi vous faire part de mon profond étonnement. Je tombe des nues. Et la stupéfaction est bien le premier adversaire que j’affronte sans que je puisse le pourfendre de mon épée. Depuis quand ? Combien de temps cela fait-il que vous vous prêtez à ce petit jeu ? J’avais formulé la vaine certitude que votre coquetterie naturelle dissimulait ce côté fleur bleue inhérent à toute demoiselle. La vie s’est chargée de me détromper avec la plus grande cruauté. Mon cœur saigne d’autant plus qu’il a été mortellement blessé par les circonstances de cette découverte.

Ma douce, la cour des Mille Lunes se désolait depuis longtemps de me voir toujours célibataire. Mais le mauvais tour joué par votre marâtre m’avait offert l’occasion de vous rencontrer. Dès que je vous vis, l’amour me monta aux yeux. Les regards dont je vous couvais à votre éveil vous le prouvaient et vous trouvaient rougissante de cette ardeur. Je me rappelle avec nostalgie les moments où nous riions si fort, inconscients du monde qui nous entourait. Ces éclats de rire étaient devenus notre cheval de bataille, celui que nous montions le sourire aux lèvres. Notre amour était aussi solide qu’une armure de lumière. J’envisageais, moi qu’on dit trop souvent charmant mais non joyeux, moi qu’on appelle Prince mais jamais homme, de demander votre main à votre père.

Mais c’était sans compter ces sept demi-hommes qui vous tiennent lieu de gardiens. En parvenant à votre chaumière hier, je ne vous y vis pas, mais y trouvai cette mi-armée. Le premier, celui avec les cheveux dressés sur le crâne, m’accueillit avec quelque chose dans le regard qui m’effraya d’emblée, tandis que le deuxième me regardait fixement de ses petits yeux noirs, seuls points mouvants dans son visage rose de cochon de lait. Le troisième me fit asseoir à la table avant de se serrer contre moi en une étreinte malsaine. Le quatrième me servit un petit gâteau en forme de cœur et murmura en s’éloignant un « je t’aime » qui me fit frissonner. Nauséeux, je pris la décision de m’en aller lorsque j’aperçus, confortablement installé dans un coin de la pièce, le cinquième de ces demi-hommes, plus sage et plus réservé, qui fumait tranquillement en lissant sa fine moustache, mais son regard me toisait impudiquement, j’en étais certain malgré l’opacité de ses verres sombres. Devant mon malaise évident, le sixième éclata d’un rire tonitruant et il s’esclaffa si longtemps qu’il commença à manquer d’air et faillit trépasser. Vert de dégoût, je vis du coin de l’œil le septième exécuter à mon intention une danse rythmée, tenant, coincée entre ses dents, l’une de ces roses qui me rappellent toujours vos douces lèvres écarlates.

Rendu malade par cette naine mascarade, je me levai enfin et enfourchai mon destrier qui galopa aussi vite qu’il le put pour me sortir de ce piège répugnant. Je ne sais pas quelles étaient leurs intentions réelles. Peut-être était-ce un rite initiatique qui m’était inconnu ? Mais je n’ai pas goûté ce qui m’est apparu comme le signe de votre duplicité. Me trouvant effondré et submergé de peine, la colère a pourtant relevé le guerrier mort au combat que je suis. La cour des Mille Lunes ne m’a pas menacé de son bras armé ! Je ne suis pas obligé de me hâter de prendre femme ! L’espoir d’une douce union avec une tendre jeune femme ne s’est pas encore éteint en moi ! Si je vous avais épousée, je n’acceptais que vous seule, et non vos gardes du bas du corps ! Comment avez-vous pu penser que j’accepterai votre heptarmée dans mon lit ?

Aujourd’hui, je crois que je ne pourrais vous revoir sans devenir féroce. Aussi je vous prie de ne pas chercher à me revoir. Je suis trop abattu, trop anéanti, pour pouvoir poser sur vous mon regard. Vous m’avez roué de coups insidieux et laissé pour mort. Oubliez-moi. Vous pourrez exprimer vos excuses ou pleurer toutes les larmes que pourrait engendrer votre cœur de pierre, plus jamais je ne vous croirai sincère.

Je baise votre main délicate une ultime fois par respect pour les tendres sentiments que vous m’avez inspirés.

Prince Charmant

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