Respect !

Mon portable a vibré vers quinze heures. Numéro privé. Une voix familière.

- Nicolas ! Nicolas, j'ai besoin de toi. Je ... je me suis fait volé !

C'était ma grand-mère, elle était à bout de souffle. Depuis la mort de grand-papa, elle m'appelait souvent. J'étais son chevalier de remplacement.

- Tu n'es pas blessée ?

-Non, non. Mais la police est ici et j'aimerais que tu viennes si tu n'es pas trop occupé.

Elle avait du mal à dissimuler la panique qui semblait la tenailler.

- J'arrive tout de suite grand-maman.

 J'étais à une vingtaine de minutes de chez elle. Grand-mère refusait de quitter sa belle grande maison du quartier Rosemont.

  Il y avait aussi ses deux voisins, Pierrette, une veuve tardivement émancipée qui rattrapaient le temps perdu en dépensant son héritage et en profitant enfin de la vie. Et Jérôme, le vieil artiste sans le sou, ex-vedette de télévision qui passait ses grandes journées à peindre des toiles immenses directement dans son appartement. Ma grand-mère se plaisait au milieu de ses voisins excentriques et ne voulait surtout pas aller vivre dans une résidence pour personnes âgées, un mouroir comme elle disait.

Une trentaine de minutes plus tard je garais ma camionnette près de sa maison. Une voiture de police monopolisait son stationnement. J'ai monté les escaliers menant à la porte principale. Un des deux policiers sur place m'a ouvert la porte. Il devait mesurer plus de six pieds et portait un pantalon cargo coloré. Il me regardait avec suspicion. Ma grand-mère était assise à la table de cuisine et discutait avec le second taupin. Elle avait pris soin de sortir des biscuits et du café. Je souris. Pauvre grand-maman ! Même dans les situations difficiles, elle était toujours aussi serviable et généreuse.

Elle s'est mise à pleurer en me voyant. Je l'ai serrée dans mes bras. Elle était petite et chétive. Elle a collé sa tête sur ma poitrine et a sangloté pendant quelques minutes. Les policiers m'observaient en silence.

- Que s'est-il passé ? ai-je demandé.

- Un jeune homme, mal habillé, m'a attendu à la sortie du supermarché … Il m'a demandé des sous… Il m'a frappée et il m'a volé mon sac à main …

Je me suis retourné vers le policier qui était debout.

- Vous avez arrêté le voleur?

- Pas encore, mais on fait tout pour le retrouver. Vous êtes ?

- Nicolas Coté, le petit-fils de ...

- Voyons voir ce que nous avons ... dis le policier en relisant ses notes.

Il était si blasé que ça frôlait l'insolence. Je fixais son pantalon cargo de couleurs rose et blanc. Les policiers étaient en pleine négociation avec la ville de Montréal et ils avaient choisi de porter des pantalons dépareillés comme étrange moyen de pression.

-... Mme Côté a décrit un jeune homme caucasien, environ vingt ans, jeans troués et anneau dans le nez.

-Sympathique, tentai-je

-ça vous dit quelque chose monsieur coté ?

- Pas vraiment.

- Les recherches se poursuivent, on vous tient au courant.

Après le départ des deux agents, je suis resté avec ma grand-mère pour tenter de la rassurer. Elle s'est empressée de me préparer des sandwiches, du café et des petits biscuits. Le chevalier redevenait petit garçon. Elle semblait s'apaiser un peu en s'occupant de moi.  Je me gavais sans rouspéter même si je voyais encore la panique et l'horreur dans ses yeux.

- Nicolas si tu veux rentrer je me débrouillerai toute seule .. Dit-elle en tremblant comme une feuille.

- Pas question. Je reste.

- Ils ne me croient pas.

- Qui ?

- Les policiers, ils ne semblaient pas vraiment s'intéresser à moi.

- Tu sais un vol de sac à main, pour eux ça ne doit pas être festif. Quoique  ...ils auraient pu être un peu plus empathiques.

- Je sais qui c'est.

Sa main tremblait.

- Qui ? Le jeune et l'anneau dans le nez ?

- Ce n'est pas un jeune avec un anneau.

- Pourquoi tu ne l'as pas dit au policier ?

Elle a baissé les yeux.

-Grand maman, tu peux tout me dire.

- Bien, je ne veux pas de problèmes.

- Mais pourquoi as-tu appelé les policiers?

-Ce n'est pas moi qui ai appelé ...

Je l'ai regardé fixement en lui tenant la main.

-Explique-moi.

- Je.. Je ne veux pas que tu te fâches.

- Grand-maman, s'il te plait dis-le-moi !!

- Nicolas, qu'est-ce que tu vas faire !

- Rien.

- Ce n'est pas de sa faute. Il a sûrement besoin d'argent.

- Qui ?

- Il me vole mes journaux et ..Des fois j'oublie de verrouiller la porte en partant, il me vole des trucs dans la maison. .

- Qui?

- Écoute Nicolas ce n'est pas si simple.

- Grand-maman !

Elle a hésité. Elle a tenté un sourire. La tristesse de son regard trahissait son désarroi. Elle a soupiré.

- C'est Jérôme ...

- Le vieux qui habite à côté ?

- Oui, mais…

Avant qu'elle n'ait pu terminer sa phrase, j'étais déjà sortie de la maison. Je me suis dirigé en serrant les poings vers la maison du voisin. J'ai dû sonner une dizaine de fois avant qu'il n'ouvre la porte. Dès qu'il a ouvert, il m'a regardé avec mépris.

- Je peux t'aider ?

-Je viens pour euh....

-Pourquoi ?

J'ai jeté un regard à l'appartement crasseux du vieil excentrique. Les rideaux étaient tirés. Dans la pénombre, j'ai aperçu des pots de peinture qui jonchaient le sol. Une immense toile dans le salon semblait avoir été peinte en dripping. Jérôme était le Jackson Pollock de Rosemont.

-Elle n'est pas à vendre.

-Quoi ?

-Ma toile, elle n'est pas à vendre.

Il me fixait. Je cherchais du coin de l'œil quelque chose qui aurait pu appartenir à ma grand-mère.

-Je ne veux pas acheter votre toile. Je viens pour ...

-Un autographe,  c'est ça ? Pas possible, ils arrivent toujours à me retrouver... Écoutez, je suis très occupé et ...

Sur le tapis, tout près de la toile, j'ai vu le coffre à outils de grand-papa.

-Je m'en sacre de ta toile ou ton hostie d'autographe !! Je viens pour Yvette, ta voisine ! Je suis sûr que tu sais de qui je parle espèce de vieux raté !

-Yvette ? Qu'est-ce qu'elle a encore manigancée, la vieille folle ?  Elle...

J'ai perdu la tête ... Avant qu'il ne continue, je l'ai cogné avec mon poing. Une seule fois. Il est tombé. Il s'est frappé la tête sur le sol. Et le sang s'est mis à couler. J'étais paniqué. J'ai regardé autour. Personne. Je suis retourné chez ma grand-mère. Un flot malsain d'adrénaline me parcourait le corps. La porte était restée ouverte.

- Nicolas qu'elle belle surprise !

- Quoi ?

- Nicolas ! Entre, ne sois pas gêné ! Écoute, je t'offrirais bien des biscuits, mais je ne les trouve plus. Je crois qu'on me les a volés. Je suis sur que c'est Jérome, le voisin, il me vole plein de trucs…

J'ai ouvert la bouche, mais aucun son n'est sorti

- Nicolas ?... Mon grand,  ça va ?   Tu as l'air tout pâle...  je t'offrirais bien des biscuits, mais ...