Rodrigue, tu as du coeur, viens dîner

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Tous les soirs quand je rentre, je ne pense qu’à lui. En quittant mon travail je rêve nos retrouvailles. Je sais qu’il m’attend déjà depuis longtemps, il trouve toujours que je suis en retard. Il ne me fait aucun reproche mais je vois dans ses yeux qu’il a trop attendu.
Sur le chemin du retour, dans ma voiture, j’écoute ma musique, celle qui me fait danser derrière mon volant, des morceaux qui s’arrachent ou font battre le cœur : je m’entraîne au bonheur qu’il me réserve à la maison.

J’arrive chez moi, toujours de bonne humeur car je sais qu’une fête m’a été préparée. Je ne suis jamais déçue : quand je pousse la porte, il est là, fou d’amour. Nous nous sautons dessus, nous nous embrassons comme des bêtes, partout, avec fougue, nous resserrons nos bras ou faisons virevolter nos caresses, nous nous respirons, nous reprenons possession l’un de l’autre. C’est comme si cette journée avait duré un mois. Si j’ai les traits tirés ou les mèches blondes en bataille, il ne critique rien, il m’aime comme je suis. Après avoir repris nos souffles perdus dans nos éclats de rire, nous parvenons à nous éloigner, à peine, et nous nous retournons vers la soirée qui attend.

Comme un vieux couple, déjà, nous avons nos rituels. Nous commençons toujours par un apéritif en tête à tête devant les nouvelles de la télévision. Nous respectons le partage des tâches ; je prépare le plateau, saucisson, noix de cajous, minuscules tomates, un bon vin rouge pour moi, pour lui de l’eau plate – il ne boit pas d’alcool, ça ne l’empêche pas de me faire rire aux larmes. Pendant ce temps, il réchauffe ma place dans le sofa le plus moelleux et me laisse le creux confortable, il s’assied à côté.
Nous grignotons ensemble en commentant les reportages, je m’énerve tout le temps, il est plus détaché, plus philosophe aussi, il a pour habitude de ne pas discuter ce qu’il ne maîtrise pas. Dès la rubrique des sports, je fonce à la cuisine mitonner le dîner car il est déjà tard.
Parfois il m’accompagne, il suit toute la recette ou il reste au salon pour somnoler un peu. Je suis très attentive à ne cuisiner que ce qu’il préfère, j’aime que nos dîners soient des moments heureux, et amoureux aussi. Le voir déguster mes petits plats jusqu’à la dernière miette me prouve que je sais le combler de douceurs.

La soirée se prolonge mais cette fois de manière imprévisible. Nous changeons tous les soirs, attentifs à ce que l’ennui ou la routine n’entament pas notre complicité.
Parfois nous écoutons de la musique, des vieux blues crémeux si nous sommes fatigués, de la soul si nos âmes ont besoin de communier, ou du rock quand nous sommes d’humeur très joyeuse. Il y a un morceau de musique auquel il ne résiste pas et que je lui propose, légèrement ironique, quand j’ai envie d’entendre sa voix. «Ascenseur pour l’échafaud » de Miles Davis, l’air somptueux du générique, il ne peut pas s’empêcher de chanter à tue-tête, les voisins doivent bien le reconnaître là.

D’autres soirs, nous regardons un bon film ou un documentaire : ses goûts sont éclectiques, à condition que le programme soit de qualité. Les films policiers, il adore. La traque du gibier de potence, ça l’excite. Les reportages dans le grand nord le fascinent, avec toute la faune aguerrie aux grands froids : les mushers et les chefs de meutes, tous le font frissonner alors que nous nous cocoonons dans nos coussins de plumes. Même les dessins animés l’intéressent, avec une préférence pour Lady –il la kife, en revanche, contre Cruella, j’en suis sûre à voir sa mine effondrée, il a des envies de meurtre ou de dénonciation à la SPA.

Plus rarement, je lis quelques notes de travail ou une biographie, j’aime les histoires des gens. Pendant ce temps, il s’occupe, il est assez persévérant et je me moque de lui en le voyant ronger toujours les mêmes dossiers. Parfois en m’esclaffant, en riant de ma lecture, je le surprends et toujours éperdu de tendresse, il me lance un regard langoureux.

Quand l’heure de dormir approche, nous sommes toujours d’accord pour traîner encore quelque minutes. Nous sommes même capables de ressortir faire un tour dans la rue. Comme un fait exprès, nous rencontrons toujours à cette heure-là, des copains ou des copines avec qui, lui et moi, aimons bien bavarder.

Heureux de retrouver la chaleur de notre home sweet home, nous rentrons finalement dans notre douce chambre. Après un dernier verre, nous nous mettons au lit, ce n’est pas un moment que nous laisserions à qui que ce soit d’autre. Commencent alors les câlins, les baisers. Nous savons parfaitement ce qu’aime l’autre, nous ne nous lassons pas de ces plaisirs partagés. Il sait me faire des bisous dans l’oreille et je sais qu’il préfère les caresses dans le cou ou sur son abdomen. J’adore son torse poilu, je sais, c’est un peu trash, mais ses poils soyeux sont un délice pour ma main et mes yeux. Je sais qu’il aime mes parfums, mes odeurs, si je le laissais faire c’est ma bouche qu’il voudrait embrasser.

Je me doute bien que vous avez compris qui est mon compagnon, un des amours de ma vie. Pourvu qu’il parte avant moi, pauvre chouchou, personne ne l’aimera jamais comme je l’aime. Il se nomme Rodrigue, c’est mon toutou à moi.

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