Terminaisons nerveuses

Fanny Chouette

Brutales, les idées hurlent de cette envie : mourir sur le papier.
Ma plume est un ordre,  merci mais pardon, pousse-toi. Comment ça c'est fort ce que tu as à me dire ? Tu ne vois pas que j'ai de la syntaxe plein les tripes ? Tu joues avec ta vie mon cher. Pardon ? Ah tu m'aimes ? On s'aimera tout à l'heure, s'il te plait. Et ferme bien la porte derrière toi. Mais non il n'y a personne d'autre, arrête d'être idiot.

Tu ne me comprends pas :
C'est quoi ce délire de tant aimer les mots ? C'est pas la vraie vie les mots figés, les vrais on les dit. Une personne équilibrée n'a pas besoin de les flanquer sur le papier, tout le temps comme ça. Regarde-toi avec ton ton stylo en bandoulière, prête à bondir à toute heure, même quand cet abruti de Morphée t'injecte un bon mot. Je te préviens, je ne ferai pas ménage à trois plus longtemps. C'est trop tout, c'est trop fou, c'est trop toi.

Ah ça y est, on dirait que tu me regardes,  enfin. Lâche ce crayon une minute, tu veux. Viens fumer une clope avec moi sur le balcon de la vie réelle, tu sais, celle où l'on parle sans guillemets. J'ai jamais aimé ça les guillemets. Ce qu'ils peuvent être ringards ceux qui les imitent en le disant. Le mot, seul,  me donne envie de tuer une fouine. Guillemets. Si seulement on pouvait en faire un jeu de mots, même un mauvais, même un des tiens, c'est dire si je suis indulgent ! Mais rien, ce mot n'existerait pas sans son graphisme. C'est un mot qui n'a de sens qu'à l'écrit. C'est pour ça que je le déteste. Guillemets. Ca sonne faux !
Pourquoi ce sourire satisfait ? Regarde-moi. Guillemets. Regarde-moi ! Non, tu n'as pas osé ?

Et si, j'ose. J'ose t'aligner sur le papier, te rendre à l'état de mots. Depuis le début tes paroles sont miennes. Je parle pour toi, à défaut de ne rien dire. Entre mes mains mon garçon, tu peux grimper l'échelle grammaticale ou t'affaler en en ratant un barreau. Tu peux tout être et son contraire. L'indispensable sujet d'une phrase dont l'absence lui brise la nuque, l'adjectif superficiel qui rend toute description déjà trop longue parfaitement détestable, l'adverbe récurent qui donne une raison d'être à la peine de mort, la préposition dans son rôle de béquille syntaxique primée aux Oscars de la meilleure potiche, le verbe avec lequel je peux faire la pluie et le beau temps. Tu lis ça ? Si je le souhaite, dans deux phrases, je peux faire de toi mon futur. Ou dans trois mots, te raturer pour ne garder que ton infinif. Tu ne deviendrais alors qu'un verbe jamais conjugué. Un puceau transitif du troisième groupe aux terminaisons beaucoup trop nerveuses. Deux phrases.

Alors détends-toi, fixe-moi trente secondes. Tu vois, moi aussi je pourrais t'aimer pauvre idiot, même si je te trompe le temps d'un chapitre.
La cafetière est vide. Tu as du feu ?

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