Et je me suis mis à fondre

jeff-balek

J’ai perdu mon boulot et je me suis mis à fondre.
Pas physiquement bien sûr.
Socialement.
Ca a commencé par les relations professionnelles. J’appelais régulièrement, pour prendre des nouvelles et garder un semblant de réseau. Mais on me prenait de moins en moins souvent en ligne et on me rappelait de plus en plus rarement.
Puis plus du tout.
Je me suis dit que ça devait être moi. Un truc qui passe dans la voix. Un truc qui fait fuir. Je leur aurais bien dit que ce n’était pas contagieux, mais je n’avais plus personne à qui faire cette révélation.
Quand tout mon réseau professionnelle fut réduit à l’informe, ça a été les copains. De moins en moins de copains.
Puis les amis. Pffft.
Je supprimais chaque numéro qui ne me rappelait pas de mon agenda pour ne plus finir qu’avec deux lignes. Et même celles-là n’ont pas fait long feu.
J’ai regardé mes pages toutes griffonées et j’ai constaté que je n’avais plus ni relation, ni copain, ni ami.
Je me suis dit que tout cela était très étrange.
Ce que j’avais perdu en amitié, je devais l’avoir gagné en ondes négatives.
Ou plutôt je devais avoir acquis une drôle d’odeur sociale.
De celles qui font qu’on s’éloigne instinctivement d’un clodo dans le métro.
J’en ai parlé à ma femme.
Et elle m’a répondu qu’elle se barrait. Loin. Très loin.
Ma sale odeur sociale devait être vraiment forte.
J’étais réduit l’état d’amibe sociale. Invisible. Et encore, une amibe communique à sa manière à elle.
Il ne me restait plus que le silence.
J’ai jeté mon agenda parce qu’il ne me servait plus à rien.
Et mon téléphone avec.
Ca a fait ploc dans mon silence. Rien de fracassant, rien de tonitruant comme cela aurait pu l’être il y a quelques mois encore.
J’ai attendu dans la maison bien grande et bien vide, toute la nuit, assis dans un coin.
J’ai gueulé même un coup ou deux pour savoir si l’écho daignait me répondre. Mais rien.
Même l’écho faisait la gueule.
Au petit matin un moineau s’est posé à la fenêtre. Il a gazouillé deux trois trucs auxquels je n’ai rien compris.
Je me suis dit que tout ça n’était pas bien grave après tout.
Je me suis levé et je suis descendu dans la rue déserte.
Le soleil se levait.
Je ne voulais pas rater ça.

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