Foudre.

lilii

Huit ans je crois. Et pourtant, lorsque je l'aperçus au loin, je le reconnu aussitôt, comme si je l'avais vu la veille. C'était lui. Mon souvenir : le récurrent, le magique, l'immuable. Un revenant anachronique dans mes rêves, qui s'invitait pour prendre le thé dans mes pensées ou réchauffer mon corps le soir.
Je tremblais comme si j'avais découvert que les fantômes existaient vraiment ou pas, justement. Tout mon corps était en alerte, comme si le danger rôdait, invasif, incisif, qu'il amoindrissait mon corps, intervertissait mes syllabes et floutait ma vision. Cachée dans mes cartons, j'avais fait mine de ne pas l'avoir vu, installant nerveusement mes colliers de perles sur leur présentoir.
Mais nos regards s'étaient croisés, hasardeux et compliqués. De loin, il m'avait fait un signe amical et m'avait souri, simplement. J'étais restée plantée là sans bouger, piégée, apeurée et amoureuse. Son regard me ramenait des années en arrière, lorsque j'étais cette fille un peu maladroite, qui rougissait facilement et qu'il m'avait embrassé sans crier gare. J'avais pris depuis, quelques claques, qui avait tanné mon cœur tout mou en un solide soldat presque antipathique. Mais ça ne marchait pas avec lui, ça ne marcherait jamais. On a tous quelqu'un comme ça, qui hante nos souvenirs ,qui alimente notre soif d'idéal. Je ne saurais jamais quel mécanisme empruntent mes émotions pour inconditionnellement l'admirer et l'aimer toujours malgré l'absence, la vie qui passe et les autres qui habitent aujourd'hui mon quotidien. Mais peu importe, il faisait parti de mes illusions indispensables qui me rendait vivante.
Sur le marché, les premiers badauds arrivèrent et finirent par envahir les lieux. Il faisait tiède en cette matinée de printemps. Le vent venait parfumer d'embruns marins la place qui surplombait la falaise et l'océan. Au fur et à mesure de la journée, j'apprivoisais la situation, jetant quelques coups d'œil vers son stand. Les femmes s'y agglutinait davantage pour sa beauté que pour celle de ses toiles. Mais je sentais son regard sur moi, comme avant. Il était beau c'est vrai, ses cheveux froissés qui dansaient avec le vent, ses yeux verts éclairés par le soleil. Il suffisait que je ferme les yeux pour replonger dans sa peau et bientôt sentir cette exquise odeur du passé. Mais je m'interdisais de replonger.
En fin de journée, je n'avais plus rien à vendre, je décidais alors de plier bagage lorsqu'une main s'égara sur mon épaule. C'était lui. L'air était devenu étrangement chaud et les nuages sombres venait s'échouer sur l'océan. Le temps semblait s'allonger, la chaleur appesantissait soudainement les corps qui ondulaient au ralenti.
« Je voulais te dire bonjour... »
« Ou au revoir... »
« Oui, euh, aha, c'est vrai...ça va, sinon ? »
« Oui... »
« Bon, ben, je te souhaite bonne continuation alors pour tes ventes. »
« Merci... »
« Ciao Camille ! »
Il s'éloigna, ses toiles sous le bras. Il ne se retourna pas. Il s'était mis à pleuvoir, une grosse pluie chaude qui fit remonter la vapeur d'eau du goudron. Alors que les autres courraient se mettre à l'abri, il continua son chemin, imperturbable, descendant sur l'océan, ses habits moites collés au corps alors que le ciel, lui, s'était habillé d'impossibles contrastes gris et roses. Il se confondait de plus en plus au paysage, sa silhouette sombre, il disparut, comme huit ans auparavant.
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