La cynique et l'indécis

haylen

C'est comme si c'était devenu une évidence.


Elle avait les cheveux bleus. Oui, bleus. Elle les aimait comme ça, même si elle changeait tout le temps de couleur. Elle se voyait mal rentrer dans le moule, avec les autres et leur smartphone, leur vie tranquille et leur chien de race. Elle n'avait rien contre les chiens de race. Ni même contre les smartphones. Enfin, si, un peu. Elle se tapait quand même le vieux Nokia de sa mère. Mais la question n'était pas là. 


Elle avait les cheveux bleus. Elle assumait totalement sa différence. Elle était ni trop belle, ni trop moche. Les gens la regardait en se disant « elle fait sa crise d'adolescence, ça lui passera ». Sauf que ça ne lui passait pas. Elle voulait rester comme ça, elle voulait faire rire les enfants dans le parc, dégoûter les adultes et faire fuir le moindre garçon à peu près potable. 

Vous y croyez ? 

Elle non plus. C'est pour ça qu'elle se tenait, comme chaque matin à 8h47, devant l'arrêt de bus, à observer cet énorme poster dégradant. Une femme retouchée sur Photoshop avait l'air d'une mutante avec ses longues jambes, ses cheveux brillants et ses dents blanches à vous donner un coup de soleil. C'était ridicule, elle se sentait ridicule pour cette pauvre femme sur qui tous les hommes fantasmaient. Etre le fantasme de chaque SDF et de chaque passant de cette rue devait être franchement épuisant. 

Chaque matin, elle restait là, avec un air de dégoût sur le visage à 8h47. Parfois elle entendait même des adolescents à peine pubères ricaner devant ce poster. Elle leur faisait, en général, le regard le plus meurtrier qu'elle avait en réserve avec pour seule réponse de leur part : « Vous avez vu ses cheveux ? ». 

C'était juste elle. Sa manie d'être à l'heure, son sarcasme et ses cheveux bleus. 

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« Vous voulez laquelle ? »

Lui et les choix, ça faisait deux. Il n'arrivait pas à se résoudre. La rue ou la fac ? Les tacos ou les fajitas ? La bombe jaune ou la bombe verte ? 

« La verte ou la jaune ?

_ Je vais prendre les deux. »

Le vendeur soupirait déjà. Imaginez sa mère. Il n'arrivait pas à faire de choix, tout simplement. C'était le comble de sa vie. Ce qui différencie l'être humain de l'animal, c'est le libre-arbitre. Ce qu'il manquait cruellement. La seule chose dont il était sûr c'était l'art de rue. Il savait manier parfaitement la peinture pour en faire un tag incroyable. Il avait tout vu, il avait tout fait. Il savait ce qu'il allait ou n'allait pas. Et c'était bien la seule chose. 

« En carte ou en espèce ? »

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Elle était frigorifiée. Un 7 février à 8h47, ce n'est pas vraiment la joie. Elle se trouvait de plus en plus ridicule avec son écharpe, son bonnet et ses gants devant cette femme-poster géante et sa mini-jupe en flanelle. Qui est-ce qui porte de la flanelle de nos jours, sérieusement ? 

Elle soupirait, soupirait, soupirait. La vieille dame à sa droite semblait agacée par son comportement. Mais elle en avait que faire. Le bus était en retard, 8h58. Elle détestait être en retard. Elle ne pouvait pas concevoir l'idée de rentrer en amphi après les autres. Elle resterait une minute, pas plus. Si dans soixante secondes le bus ne venait pas, elle n'irait pas en cours. 

Excuse minable, elle sait. 

« Un… deux… trois… quatre… cinq… six … »

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Il avançait dans la rue la plus mal fréquentée de la ville, son sac sur le dos avec les deux bombes achetées quelques jours plus tôt. Il ne savait pas par où commencer, il n'avait plus de muse, plus de raison. Il voulait de l'imagination, mais elle ne s'achetait pas vraiment sur internet avec une fausse carte de crédit. 

Il alluma sa cigarette en s'asseyant sur le banc d'un arrêt de bus, à côté d'une drôle de fille aux cheveux bleus. 

« Quarante-deux… quarante-trois… quarante-quatre…

_ Pourquoi tu comptes ? »

Si un regard pouvait tuer.

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