Le fichu noir

Colette Bonnet Seigue

Le fichu noir

Silhouette grêle et cintrée, ma grand-mère-trotte-menue a imprégné mon enfance de présence douce. Sa chevelure flanquée au quotidien d’un strict fichu noir a emprisonné sous son asphalte les mèches grises interdites de danses folles.

Fichu et robe anthracite ont noirci les jours austères de femme soumise au dur labeur. Ce temps maudit où la sensualité féminine enfouie à l’amour abyssal, inassouvi, n’avait pas droit d’existence.

Pourtant, comme elle était belle ma grand-mère sous son capuchon de suie ! De son regard s’échappaient le feu et la tendresse. Un regard de ciel au large souverain, à l’incommensurable profondeur des eaux douces, transparentes, chaudes et apaisantes. Ses yeux, braises des heures voyageuses, réchauffaient l’instant d’une sérénité toute maternelle.

Grand-mère-fée à la magie intemporelle essuyait une larme de crocodile ou recueillait avec respect et compassion les clapotis du cœur.

Visage triangulaire aux angles ronds comme son âme, colline de pommettes arrosées de nos baisers d’enfants heureux ! Petite bouche ouverte à la parole essentielle, celle qui réconforte, qui berce dans l’insatiable don de soi !

Je revoie sa silhouette-trotte-menue cassée par les tempêtes du temps impitoyable, toujours en mouvance sur un fil fragile brisé ce matin de mai, ce matin de foudre céleste.

Présence ineffaçable du fichu noir ensoleillé au vestiaire de ma vie…

Signaler ce texte