Le mot échappé

lanlan

                                        Le mot échappé

              « Le comédien Mamadou  déboule sur scène essoufflé »

Oh la la ! Oh la la ! C’est terrible ce qui m’arrive ! Depuis quelques jours, je n’arrête pas de mâcher mes mots sur scène…Inutile de me prendre au mot ; je ne mâcherais pas mes mots avant de savoir ce qui me restera à ruminer, quand vous aurez digéré mon monologue.

Rassurez-vous ! Je ne suis pas autorisé à gober inlassablement les propos imaginaires de mon public…malgré mon amour pour le contraste…oui !...Vous n’aimez pas le contraste vous ?... De toute façon, je ne vais pas vous faire un graphique ! Je ne me permettrais pas d’étaler ici, dans cette salle noire de monde blanc, une suite de signes noirs entre deux blancs de chaque rang…

En cherchant mes mots français pour lesquels j’ai été victime d’un violent mal de tête, j’ai attrapé un malaise. Et pendant que je tenais bien mon malaise, le mot que j’avais sur le bout de la langue m’a échappé. Il s’est brusquement vidé de son sens initial. Sans rien articuler qui soit audible, il s’est transformé en vent ; M’a entraîné dans cette horde de grues métaphysiques que l’on appelle bêtement « jeu de mots » et derrière laquelle toutes mes certitudes ont disparues sans prévenir et sans mot dire.

Soudain ! Le mot recherché, suivit de quelques mots complices à signifiants identiques : des mots croisés et des mots fléchés, m’a fallacieusement caché le fin mot de l’affaire, avant d’alerter les mots à double sens ; qui ont profité de la présence des mots qui font mal pour dresser contre moi les mots d’ordre, les mots qui ont le droit de dicter la loi et même les étymologistes qui travaillaient d’arrache-pied pour trouver le mot de l’énigme. Ce mot de l’énigme qui s’impatientait pourtant derrière toute une classe de mots : des mots étrangers, des mots à plusieurs sens, des mots lexicaux, des mots grammaticaux, des synonymes et même des paronymes. C’est alors que par l’émission d’un simple son, une jeune onomatopée qui me chatouillait le larynx depuis un moment déjà, a provoqué une bagarre entre les mots usuels, les mots populaires, les mots régionaux et le groupe de mots courants et savants.

Les mots savants se sont détachés tout de suite et, au nom de la sacro-sainte syntaxe, ils ont immédiatement sorti les grands mots qui sont montés sur leurs grands chevaux pour aller se plaindre avec emphase chez le grand lexicologue.

Ce méticuleux collectionneur de mots de toutes sortes, qui n’aime pas que les mots populaires et les mots savants aient ensemble des mots aux passions conflictuelles. Avant d’adresser un petit mot discret à chacune des parties, le lexicologue a usé de ses mots d’esprit et même de plusieurs de ses mots de valeur pour prier la synthèse de bien vouloir reconstituer ce que l’analyse de tous ces mots avait séparé volontairement. Pour faire l’historique du mot, il a réuni des mots anciens, des mots à la mode, des mots marrants, des mots nouveaux et quelques formules pour rire, avant de rapporter mot à mot sa mosaïque grammaticale aux termes argotiques qui manifestaient visiblement un antagonisme doté d’une grossièreté qui n’a d’égal que leur archaïsme.

Dans la plénitude de ce silence bavard, où se côtoyaient les mots accusateurs des mots accusée, et tous ces mots qui plaidaient pour ou contre d’autres mots, chacun des mots tenait prêt son mot à dire et voulait m’en toucher un mot qui soit à la fois : le fin mot dit en dernier et le mot recherché de la fin.

Plusieurs mots développaient discrètement leur valeur labiale en ponctuant leur avancée au rythme des accents toniques de la prose vers le mouvement musical de ma future phrase.

Et moi, noyé dans mon hébétude, sans souffler mot, tout en cherchant dans ma petite collection de mots, un mot passe partout qui serait le mot-clé de mon trousseau de mots, j’ai senti la présence envoûtante de ce vocable de cinq lettres qui est devenu le mot le plus célèbre des mots de Cambronne que j’ai crié : il bêle…je l’avais sur le bout de la langue.

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