Les cordes à linge
raphaeld
Il m’arrive de repenser au bâtiment de mon enfance et aux bruits qui régnaient à l’intérieur. C’était l’une de ces ruches criblées de centaines de viviers, de petits enclos dans lesquels s’entassaient des familles à la fin de la journée. Des bouts de vie se mêlaient en cacophonie le long des couloirs, les tragédies s’y fondaient dans les éclats de rire. Il y avait là tout une palette d’émotions brutes qui ricochaient sur la peinture écaillée, arrachaient sa froideur au métal des rambardes. Une mine de tranches de vies à partir desquelles on eût pu reconstituer en les assemblant avec minutie un portrait convaincant de l’humanité.
Les soirs d’été la morne façade se parait de centaines de vêtements. Au coucher du soleil ils flottaient jusqu’aux pieds des nuages… Tout le quartier maquillait ses défauts, voilait ses rides... Le mioche que j’étais jouait avec son vieux ballon crevé sous ces cathédrales de bouts de tissus. Les cordes à linge vibraient d’épopées de tous les horizons, il suffisait de prêter l’oreille… De temps en temps en attendant les copains j’essayais de voir jusqu’où montaient ces fils tendus aux balcons. Je n’ai jamais pu les compter. Alors à la place je les examinais un à un, je les écoutais… Puis je revenais au mien et à mes deux slips qui se balançaient naïvement à côté des fringues de papa et maman. J’avais du chemin à parcourir encore, et une infinité de possibilités s’ouvraient à moi. Autant que de cordes à linge sur mon bâtiment. J’étais à l’embranchement, il me suffisait de choisir une corde en particulier et de me laisser glisser jusqu’au bout.
Elle devrait être colorée bien sûr, pas comme ces tristes veuves qui pendouillaient au quatrième étage. Et longue de préférence, et puis entourée de plein d’autres cordes qu’elle toucherait au gré du vent… Et pas trop chargée, et jamais des mêmes motifs… J’ai passé des heures à chercher la corde que je voulais sans jamais la trouver, alors je me suis résolu à en tendre une moi-même, en travers de toutes les autres. Elle partirait du sol et monterait au bout du ciel.
Je n’étais pas le seul à avoir eu l’idée. Autour de moi des milliers de bambins entamaient la même chose. Une solide attache, un grand lancer. On se jetait avec euphorie vers l’avenir qu’on imaginait tout en haut. Seulement voilà ; ce genre de corde ne tient qu’à l’aide d’autres qu’elle accable. J’en ai vu rompre et se précipiter dans le vide. Et celles qui par chance tenaient le coup, il fallait encore avoir la force d’y grimper. Ceux qui étaient à bout se résignaient à la position horizontale et s’y reposaient pour de bon. Généralement une autre les y rejoignait et ensemble ils frémissaient de mélancolie.
Je n’ai jamais été très fort alors je m’accrochais aux pieds des autres grimpeurs. Je les fatiguais assez rapidement et quand ils n’en pouvaient plus je passais à côté. Je me suis fait des ennemis que je fuyais et des amis auxquels je m’accrochais du bout des ongles. Je ne pensais qu’à ce que je trouverais tout en haut, à la cime de mon immeuble... Un semblant de sérénité, peut-être même de la fierté en cherchant bien…
Pendant ce temps ma corde restait nue et silencieuse.
J’ai d’ailleurs fini par la perdre de vue.
Que de souvenirs… merci!
· Il y a presque 11 ans ·misskatt
merci pour la notif Lyse. singulier et pas mal ficelé effectivement, mérite donc sa note...
· Il y a presque 11 ans ·wic
Hargneux jusqu'au bout hein :)
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
¡ no comprendo, hombrecito !
· Il y a presque 11 ans ·wic
Mon p'tit napoléon... T'es bien mignon.
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
???!!
· Il y a presque 11 ans ·wic
je reviens te féliciter pour ton score impressionnant. J'ai vu avec surprise l'autre jour que tu étais un "gars" moi je t'ai imaginé fille sans l'ombre d'un doute. pourquoi? Je crois à cause d'une sensibilité impressionnante à ce qui est si "intime" et indicible dans le regard d'enfance.
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
Ben ouais, tous les gars c'est pas de gros bourrins :) merci !
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
eh bien vous avez mis du temps. Mais je réitére mes félicitations. Je crois que vous avez explosé tous les scores.
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
explose tous les scores je crois pas. oui j'en mets du temps car je suis en voyage et je n'ai pas internet regulierement. Merci en tout cas et bonne continuation
· Il y a presque 11 ans ·raphaeld
oui je crois que tu as fait un record et tu as offert beaucoup de plaisir à beaucoup de lecteurs.
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
C'est si bien dit, avec des mots bien assemblés. BRAVO ET COEURS
· Il y a presque 11 ans ·Helene Bartholin
Un mot un seul : Plaisir
· Il y a presque 11 ans ·Puis un autre : Merci
Stéphan Mary
http://www.youtube.com/watch?v=ZZ4R5XrgzCw
· Il y a presque 11 ans ·Marius Bonfeu
Magnifique...j'aime beaucoup ! Quelle belle idée.
· Il y a presque 11 ans ·lyselotte
Ecriture ductile, et bcp d'autres choses...(: C'est très beau et tellement personnel
· Il y a presque 11 ans ·Rose Marie Calmet
Une enfance napolitaine? Délicieux…
· Il y a presque 11 ans ·nyckie-alause
Très belle métaphore
· Il y a presque 11 ans ·reverrance
Très belle métaphore.
· Il y a presque 11 ans ·le-hareng
...mais tu as plus d'une corde à ton arc !
· Il y a presque 11 ans ·woody
Très joli texte ! Merci.
· Il y a presque 11 ans ·luz-and-melancholy
imagée, ça sent l'enfance loin de toutes les réalités tristes du matériel. Bravo!
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
Comment ? Personne n'a noté ?
· Il y a presque 11 ans ·Magnifique
blonde-thinking-on-sundays
Que de belles images de ton enfance, on se replonge tous dans ces doux souvenir... Bravo.
· Il y a presque 11 ans ·Helene Bartholin
Souvenir d'enfance poétique et philosophique. Ces images m'ont ramenée à un récent voyage à Venise et ses ruelles où les cordes à linge semblent autant de drapeaux reliant les immeubles .
· Il y a presque 11 ans ·arzel
Quel dommage! Mais quelle belle analyse, ce quartier, ce qui est suspendu aux cordes, au sens propre et au sens figuré, ce qu'elles suggèrent, ce qu'on devine et ce que l'on imagine dans un futur qu'on aimerait plus coloré avec des cordes toujours plus hautes, impossibles à atteindre, sauf si s'y accroche avec ferveur! Une question, sur tes cordes à linge, n'y avait-il aucun nounours ou peluche qui séchait avec beaucoup de mal, parmi les effets des parents et des frères et soeurs...
· Il y a presque 11 ans ·yoda
J'aime vraiment beaucoup, déjà l'angle, l'atmosphère, ce que tu dessines et de la façon dont tu le fais. Sur le fond, c'est peut-être un ensemble d'idées que l'on retrouve dans certains de tes textes, mais bon, importance de second ordre je dirais, parce que c'est chouette. Et puis en plus tu prêche une convaincue, une sensible aux cordes à linge. Voilà, c'est ce choix là qui me plait particulièrement et que tu as par ailleurs très bien introduit.
· Il y a presque 11 ans ·hel