Mosquito (1)
wen
Comme tous les matins, Aboubacar arrivait à pied pour ouvrir à six heures pétantes le lavomatic qu’on lui avait confié rue Guy Môquet à Paris. Et comme tous les matins, il croisait Eric qui sortait de l’entrée de l’immeuble juste à côté, au numéro 21.
- Salut Abou’ lui dit doucement l’homme.
- Salut Chef lui lança Aboubacar. Ça va bien ce matin ? Lui demanda-t-il sincèrement.
- On fait aller, comme tous les matins mon ami, lui répondit Eric.
Puis, continuant son chemin de l’autre côté, il lui dit en s’éloignant :
- Et bonne journée à toi Abou, bon courage.
Aboubacar lui répondit tout en ouvrant la porte et en pénétrant dans la laverie avec cet air mi-désabusé, mi-souriant comme seuls les africains immigrés à Paris pour un travail de misère savent le faire :
- Bonne journée à toi aussi mon ami et à demain.
Eric répondit de dos, d’un signe de la main tout en marchant vers la station de métro Brochant. Il était déjà six heures cinq.
Le programme d’Eric était invariable chaque matin. Depuis aussi loin qu’il s’en souvienne, il se levait chaque matin à cinq heures quinze précises. Il avalait un grand verre d’eau puis se mettait en place pour ses exercices quotidiens pour trente minutes. Des séances d’abdominaux et de tractions s’intercalaient les uns aux autres jusqu’à dix minutes de relaxation et d’étirement nécessaires pour détendre l’intégralité des muscles mis à contribution.
Il lui restait quinze minutes pour prendre sa douche, se raser et s’habiller pour ouvrir la porte de son deux-pièces à cinq heures cinquante-neuf précises. Tous les matins depuis quinze ans.
Une fois dans la rue, il avait appris à saluer son ami Abou’, le “ gérant ” de la laverie automatique adossée au restaurant asiatique immédiatement à côté de sa porte d’immeuble. Abou’ était un homme bien. Ils n’avaient absolument jamais discutés l’un avec l’autre mais à force de se croiser tous les matins, sept jours par semaine à six heures précises, ils avaient pris l’habitude de se saluer.
Chaque jeudi matin Eric sortait de chez lui avec un sac de vêtements qu’il confiait à Abou’ avec un billet de cinquante euros. Celui-ci lui rendait le même sac le lendemain matin avec son linge propre, plié et repassé « par les bons soins d’une de mes cousines » lui avait-il dit un jour.
Après avoir salué celui qu’il était possible de qualifier comme son ami le plus proche – et son seul ami d’ailleurs –, Eric marchait jusqu’au square des Batignolles par la rue Brochant.
Chaque matin il s’aérait en s’imprégnant de la verdure. C’était son petit moment quotidien de relaxation. Qu’il pleuve ou qu’il vente, par la chaleur aoûtienne ou le froid hivernal, il marchait dans les allées du parc, doucement, tranquillement, puisant sa force et sa sérénité au milieu des arbres et des pigeons qui le regardaient en cherchant une éventuelle pitance matinale.
Une fois son petit tour terminé, il sortait par la sortie Sud, s’engouffrait dans la rue Legendre et la remontait pour revenir sur l’avenue de Clichy jusqu’à la place du même nom.
Chaque jour il arrivait à s’étonner du contraste effarant entre ces deux quartiers distants de cent mètres.
D’un côté il arpentait des rues désertes le matin composés de grands immeubles silencieux d’où ne sortait parfois à cette heure-ci que quelques gardiens ou gardiennes traînant les poubelles d’habitants privilégiés qu’ils n’arrivaient même plus à envier. Et de l’autre, il rejoignait l’avenue de Clichy avec son activité bruyante, chaleureuse et même enfiévrée. Les snacks avaient déjà bien entamé leur journée et les premiers clients “ longue durée ” s’attablaient déjà devant un minuscule café composé à parties égales de marc et d’eau bouillante qu’ils mettront trois heures à boire. Eric remontait l’avenue en passant devant les bazars colorés, véritables cavernes d’Ali Baba et les boutiques de téléphones mobiles et de cartes prépayées proposant des tarifs défiant toute concurrence pour appeler tout le continent africain ou le sud-est asiatique.
Enfin, quelques dizaines de mètres après, il arrivait sur la place de Clichy.
Tous les matins, Eric y prenait son grand café accompagné d’un verre de jus d’orange. Toujours à la même place, il parcourait rapidement les journaux du matin. Une fois terminé, la journée pouvait vraiment commencer.
Le programme de cette journée-ci n’était pas particulièrement chargé mais il était constitué de deux rendez-vous importants. Il eut toute la matinée pour préparer ce qu’il avait à faire à partir du milieu d’après-midi pour son deuxième rendez-vous et cela lui évita, par la même occasion, de trop penser à son premier rendez-vous de la journée : il devait déjeuner avec Alicia ce midi.
Il la retrouva vers treize heures près de son bureau, boulevard des Capucines.
Ils s’installèrent en terrasse d’un des nombreux restaurants cachés dans les recoins de la rue Edouard VII.
Elle l’avait prévenu, il fallait prendre une décision à présent. Elle n’acceptait plus qu’après trois ans de relation, elle n’ait jamais été invitée chez lui. Une fois de plus elle lui reprochait son mutisme, ses silences et ses secrets. Alors que c’était précisément cela qui lui avait convenu aux premiers temps de leur rencontre, elle voulait aujourd’hui s’investir un peu plus. Alors bien sûr, pour une belle femme comme elle, jeune, indépendante, cultivée, et parfaitement autonome, il n’était pas encore question de vie commune, d’enfants ou de projets communs mais à tout le moins, elle espérait – une fois encore – le réveiller un petit peu pour obtenir ce qui la frustrait le plus : un minimum de disponibilité.
Eric disparaissait parfois pendant plusieurs jours sans qu’elle n’obtienne la moindre nouvelle et réapparaissait tout aussi soudainement sans la moindre explication ni même le début de la moindre contrition. Eric lui rappela que c’était la règle du jeu depuis le début entre eux. Pas de questions sur son travail. Ils avaient entamé une relation simple où l’un et l’autre trouvait ce qui leur convenait mais cette situation touchait à sa fin. Pour elle mais également pour lui bien qu’il ait été bien en peine de l’avouer.
Car en effet, il s’était profondément attaché à Alicia et beaucoup plus même qu’ils ne l’imaginaient tous les deux. Depuis qu’il la connaissait, elle avait réveillé chez lui des choses simples et des bonheurs qu’il ne s’autorisait pas en temps normal. Elle arborait une pétulance et une insouciance qui le rendait heureux et dont il ne voulait plus se séparer. Il ne voulait pas la perdre et pour cela, il avait admis qu’il devait faire des concessions.
Mais pas maintenant.
Elle ne comprenait pas pourquoi et Eric en échange n’arrivait pas à lui expliquer pourquoi ce n’était pas possible pour le moment. Mais pas maintenant. Il faudrait attendre encore un peu.
Merci beaucoup Audrey, ça fait plaisir.
· Il y a environ 12 ans ·Et ne tire pas de conclusions hâtives pour le moment, il a peut-être des (bonnes) raisons, ce n'est pas non plus exclu...
Et sinon, oui, on parle bien d'Eric bien sûr...
;-)
wen
Très joli, rythmé, détaillé. L’histoire est intéressante pour ce début, il me reste à lire la suite, mais agréable à lire. Encore un homme qui cache ses pensées les plus secrètes et qui ne partage presque rien avec ceux qui l'entourent (je parle de Éric bien sûr):)
· Il y a environ 12 ans ·Intrigante
Merci Koukie. J'essaie de les rendre intéressants, si j'y arrive, tant mieux.
· Il y a environ 12 ans ·wen
Merci beaucoup. J'espère que la suite te donnera autant de plaisir.
· Il y a environ 12 ans ·wen
j'ai pris plaisir de cette lecture légère et détaillée. De ces vies au travers des personnages.
· Il y a environ 12 ans ·Patrice Merelle
@Thalia : Merci de tant de compliments. Planter le décor est important pour la suite et pour comprendre l'atmosphère, tu l'as dit.
· Il y a environ 12 ans ·Eric est un garçon plutôt énigmatique en effet.
@Malusyle : Très heureux de te croiser ici et de t'emmener en balade avec Eric et les autres.
wen
j'aime !!
· Il y a environ 12 ans ·malusyle
Belle écriture, fluide et précise quant aux descriptions de paris... J'aime cet accroche pour planter le décor et l'atmosphère.
· Il y a environ 12 ans ·Et je me pose plein de questions sur Eric... J'attends la suite avec impatience.
thalia
:-) Oui j'avais compris...
· Il y a environ 12 ans ·Tant mieux si ça te perturbe, c'est fait pour.
wen
ben le bourdonnement du moustique... ca me perturbe le titre et l'image! :)
· Il y a environ 12 ans ·Sweety
@Sweety : Toujours aussi impatiente...(un bourdonnement ? t'es sûre ?)
· Il y a environ 12 ans ·Sur les secrets d'Eric, encore un tout petit peu d'attente, ça vient, ça vient... Bienvenue dans "mon" Paris en tout cas.
@Mys'Karine : Merci du compliment, la suite arrive juste après.
@Iktomi : Je ne sais pas si c'est une grande idée, tout ce que je sais c'est que je ne sais pas faire autrement. J'ai besoin de poser le cadre avant tout. A vous ensuite de suivre les pistes semées ici ou là, ou de vous laisser promener tranquillement. Merci de ton passage.
wen
La grande idée c'est de planter d'emblée le décor, en plus à Paris ce qui ne peut que me plaire à moi parigot ;-)
· Il y a environ 12 ans ·Mes quartiers c'étaient plutôt Sacré-Coeur/Abbesses, et plus tard Belleville/Père Lachaise, le XVIIème ce n'est pas celui que je connais le mieux, une raison de plus pour que j'apprécie la visite guidée.
Bien à toi
Johann Christoph Schneider
très agréable à lire, si bien décrit, je suis comme tous, j'attends la suite!
· Il y a environ 12 ans ·Karine Géhin
Comme a chaque fois, tu prends le temps de décrire la scène les personnages. C'est plaisant de te lire.
· Il y a environ 12 ans ·Avec en prime une visite guidée de Paris, c'est vrai que c'est jolie cette ville de contraste ...(mais je ne suis y allée qu'en touriste provinciale ;) )
Le texte est divertissant, agréable a lire et intriguant.
je sens que ça va monter en intensité rapidement!(j'entends un leger bourdonnement!)
Mais Wen comme toujours,tu le sais , je suis pressée de connaitre la suite...(je me pose des tas de questions sur ses "secrets" curieuse je suis, c'est vrai)
Sweety
Merci Rev'.
· Il y a environ 12 ans ·Non, non, demain c'est demain. Demain matin mais demain quand même.
J'espère que la suite te plaira autant.
wen
mais alors demain c'est maintenant et du coup j'attends ;)
· Il y a environ 12 ans ·beau début
reverrance
Bientôt... Bientôt Mathieu.
· Il y a environ 12 ans ·Merci de ton passage.
wen
Vivement que ça se gâte !
· Il y a environ 12 ans ·Mathieu Jaegert
Je construis mes mises en place à peu près toujours de la même manière. Certains décrochent, d'autres attendent un petit peu les développements futurs.
· Il y a environ 12 ans ·Très content de t'emmener Christinej, je pense que ça va te plaire.
wen
vraiment tres bon, tu sais embrarquer le lecteur dans ton histoire, tu donnes assez de details mais pas trop pour peindre le decor l'atmosphere et surtout tes personnages, bravo et j'attends avec impatience la suite
· Il y a environ 12 ans ·christinej
Hé hé ! Elle arrive demain et je devrais vous emmener avec moi pour quelques épisodes encore. Merci de ton com'.
· Il y a environ 12 ans ·wen
Manque la suite, elle est ou ? .. ;o)
· Il y a environ 12 ans ·compteferme
@sophie : Et le marché couvert ! J'aime tellement ce quartier, le XVIIème qui se transforme en louchant doucement vers le XVIIIème. Tellement de souvenirs...
· Il y a environ 12 ans ·Très heureux de t'embarquer dans la balade.
@Lyse : Merci beaucoup des compliments. Ça commence souvent comme ça avec moi. C'est après généralement que ça se complique un peu... (hé hé hé !)
La suite demain.
wen
Bon bin...comme Alicia, je voudrais savoir...C'est fluide, coloré, simple dans le beau sens du terme...j'attendrai...
· Il y a environ 12 ans ·lyselotte
Ah, la rue Legendre, le square des Batignolles et son petit manège pour les enfants, la brocante...que de souvenirs! J'attends la suite.
· Il y a environ 12 ans ·divina-bonitas