Orage mécanique.

Putain...  je suis à la bourre!

Il va y avoir le regard de poisson mort de Josiane à l'accueil, son reniflement réprobateur face à ma tenue (pas assez classe), à mon maquillage (expédié à la va-vite, pas le temps), à mes ongles (vernis écaillé... et merde!) Puis il y aura Maître Duchmol et ses remarques acides sur les horaires à respecter ("le respect mon petit, c'est le fondement du travail bien fait") et les heures qu'il retirera de mon salaire.

Et avec tout ça, j'ai même pas assez dormi... Ma faute à moi si pour supporter cette vie aussi palpitante qu'une assiette de légumes bouillis j'ai besoin de m'évader le soir ? Et encore ma faute peut-être si je plais aux hommes et que je ne sais pas leur dire non ? Pourtant, celui d'hier soir n'était pas terrible. Mais il avait les mains douces, et sous ses caresses, je me suis sentie vivre.

Là, une place! Miracle! Clignotant, je braque, laisse passer une mère et sa poussette...

Un petit coupé sport se faufile et me grille la politesse. Et ce connard au volant qui me regarde, moqueur et satisfait, smartphone collé à l'oreille.

C'est le voile rouge. J'imagine soudain son visage paniqué, ses yeux qui giclent des orbites, sa petite gueule qui explose et se désagrège. Je ne pense plus, ma main s'est refermée sur le cric. Je plante ma bagnole là. Je fonds sur lui, mon bras se lève, j'arme mon coup comme j'ai appris, en visant plus loin que la cible.

Et je frappe...  encore, et encore. J'efface son sourire suffisant à grands coups de métal hurlant, ça craque, ça explose, ça suinte, ça dégouline.

Son visage ne ressemble plus à rien, champ de ruines ravagé par la douleur et l'incompréhension.

Le tout dominé par un hurlement à déchirer les tympans, un cri inhumain qui jaillit du plus profond de moi, et monte crescendo.

Quand les flics finissent par me maîtriser, il ne reste plus rien du coupé sport. Lui, anéanti, sanglote sur l'épave fracassée de sa virilité à quatre roues.

Tout ça présage de longues vacances. Je crois qu'il était temps.