Plein anisé

Mathieu Jaegert

Mes collègues en ont ras le panama de prendre mes remarques incisives plein les gencives. C’est normal, la Féria des Vendanges approche : « Bodegas à l’horizon, beaux dégâts à foison...la faute au pastaga ! ».

Ils me surveillent comme l’huile d’olive sur le feu et m’ont au doigt de pastis et au verre à l’œil. Je pense qu’ils me prennent pour un fou, un fada. C’est ce que doit vouloir dire à une ou deux nuances péjoratives près : « quel calud ! ».

C’est pour cette raison que ma plume, apeurée par le possible et néanmoins improbable réveil des autochtones, souhaite partager plus largement les bizarreries linguistiques de notre beau pays. Sans laisser de côté le Sud-Anis bien entendu.

D’ailleurs, il est l’heure de remettre les « s » à leur place pour affiner mon propos. Je viens de prendre la mesure d’un élément qui clochait. Comme quoi, au contact de mes collègues, j’en apprends tous les jours. Je vous avais expliqué les prononciations abusives – à l’allemande finalement – de beaucoup de consonnes en vous citant les exemples les plus représentatifs : « le coûte du gass », « quatre moinss trois… », etc. Figurez-vous qu’en fait ils ne laissent rien au hasard. Cette prononciation bricolée en apparence, un peu bancale et pas académique est en réalité calculée. Le second « s » de « moinss » est très souvent retiré à « plus ». La règle veut ainsi que l’on dise « plus tard » sans prononcer le « s » mais « ils en font plus » en le prononçant. Eux non, ils font « plu avec moinss ». Ou plutôt, ils font « moinss » avec le « s » de « plus ». Oui je sais, c’est subtil. Malgré tout ce que je peux en dire, ce sont des êtres doués d’une éloquence subtile, enrobée de métaphores exotiques.

Mais ce n’était qu’une parenthèse. J’ai choisi aujourd’hui d’élargir le débat, géographiquement et intellectuellement. Il y aurait beaucoup à dire mais je ne vais pas y aller par deux, trois ou quatre chemins.

Je viens de découvrir pourquoi les français ne se souciaient pas tant que ça de l’importance de réfléchir à l’après-pétrole. Pourquoi certains continuent à utiliser abusivement leur voiture ou à laisser tourner le contact à l’arrêt. La raison principale m’avait échappé jusque-là. Ils ont beau passer à la caisse en même temps qu’ils passent à la pompe, beaucoup d’entre eux sont persuadés que nous n’arriverons jamais en période de rareté, confiants en leurs propres capacités individuelles de production. En effet ici dans le Sud-Anis, comme ailleurs en France, nombreux sont ceux à déclarer lorsqu’ils vont faire le plein, remplir leur réservoir :

« Je vais faire de l’essence ».

Et après on s’empare de la question houleuse de la transition énergétique ! On cherche vraiment des problèmes là où il n’y en a pas.

…A suivre sans doute…

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