RIDEE
Marcel Alalof
RIDEE
Cette femme était d’une incroyable beauté, très ridée, mais je la lissai du regard. Devinât-elle qu’elle m’inspirait cette irrésistible attirance, de celle que l’on peut aussi, d’ailleurs, éprouver en face d’un être fort laid dont nos yeux ne peuvent se détacher parce que nous savons, au fond, qu’il peut représenter, au moins dans certaines situations, l’image vraie de nous-même.
J’ai rencontré un jour, dans une galerie londonienne un homme qui, physiquement, représentait tout ce qui me dégoûte en moi. Je remarquais sa scoliose marquée, son psoriasis du cuir chevelu et sa solitude de désespéré. Je ne parvins à me détacher difficilement de sa contemplation si j’ose dire, que parce que j’étais accompagné. La rétrospective BONNARD, qui n’était pas inintéressante, s’était transformée, dès que je l’eus remarqué en une sorte de BACON mouvant, hideux.
Isabelle me tira par le bras, car elle avait senti que quelque chose d’inhabituel se passait. Je me détournais de moi-même et tombai immédiatement devant un petit homme très droit, très sûr de lui, malgré une calvitie très prononcée et une barbe blanche très démodée, qui ressemblait trop à Sigmund FREUD. Je pressai Isabelle de sortir du Musée, prétextant une crise de claustrophobie. Arrivé à Victoria Station, je rencontrai à nouveau, devant l’entrée principale du métro, faisant les cent pas, l’incroyable beauté que j’avais lissée. Quelques rides s’étaient reformées. Je lissais à nouveau, me disant qu’il fallait faire plus. Mais, que devenait Isabelle dans tout ça ! Je ne pouvais lui livrer ce qu’elle pourrait qualifier d’élucubrations. Et peut-être me quitterait-elle ou, pire, exigerait-elle que je la quitte. Alors, je ne dis mot, mais me déplaçai de manière à contempler le profil de la femme qui m’avait ému.
Ses contours, au dessin incomparable, étaient tels qu’ils évoquaient non pas un sentiment, une sensation esthétique, mais provoquaient réellement un sursaut.
Et je réalisais, en parallèle, presque simultanément, que cette femme déjà âgée allait bientôt mourir, me quitter, que notre histoire était déjà terminée.
la fleur magnifique, puis la fleur fanée, mais c'est toujours une fleur ! Et c'est beau et émouvant, la touche fragile de l'humain qui passe !
· Il y a plus de 13 ans ·theoreme
Furtive rencontre avec l'éphémère, avec la fragilité de l'homme et de l'humain
· Il y a plus de 13 ans ·Chris Toffans
Les rencontres inopinées sont parfois les plus bouleversantes ! Et la mort est notre rencontre la plus fréquente, pas inopinée, mais bien insistante.
· Il y a plus de 13 ans ·Gisèle Prevoteau
Quelle dernière phrase ! Bel hommage à Bacon, et pauvre Isabelle...
· Il y a plus de 13 ans ·luc--2
Très beau texte sur le fantasme et les jeux de miroirs! *****!
· Il y a presque 14 ans ·Chloé. S
de beaux arrêts sur image..j'adoooooooore.....
· Il y a presque 14 ans ·thelma
Un texte très étrange et qui me plait beaucoup. je pense qu'il aurait plu aussi à Sigmund, merci Marcel.
· Il y a presque 14 ans ·lapoisse
Le rapport le plus étrange du coup me semble être avec Isabelle !
· Il y a presque 14 ans ·Edwige Devillebichot
beau et surprenant
· Il y a presque 14 ans ·gandalf989
Très beau texte aussi qui valent assurément les 5 étoiles.J'ai adoré : "très ridée, mais je la lissai du regard." et la chute, encore, brutale et percutante !!!
· Il y a presque 14 ans ·leo
très chouette ! coup de coeur
· Il y a presque 14 ans ·giuglietta
C'est mieux qu'une crème l'Oréal...
· Il y a presque 14 ans ·Lézard Des Dunes
très prenant, merci. c'est, si je puis dire, un texte qui ne prendra pas une ride...
· Il y a environ 14 ans ·gun-giant
Oui, elle allait partir, mais le simple fait de l'avoir remarquée vous a permis de vivre toute votre histoire avec elle ...
· Il y a environ 14 ans ·archangelia
C'est vraiment magnifique, merci!
· Il y a environ 14 ans ·ko0