Une vie de lune noire

Anne S. Giddey

Au début de nous, je n’y ai vu que du bleu

Nous deux n’était qu’une idée folle, une eau-de-feu

Je prenais de l’altitude dans ma boîte crânienne

Un art de t’aimer dans une flambée d’oxygène

Je me mettais sur mon trente et un

Pour les flacons de nos deux parfums

Facettes en cristal dans le velours

Comme les gueules en coin de notre amour

Comme la geisha, l’œuvre-femme

Je ne peux qu’être seule

Comme tous, nous avons été bouffés par les gares

Avalés cul sec, recrachés sur le tarmac

Superbes de n’être qu’un, pleurant par les hublots

Nous étions bien trop purs et nous étions trop beaux

Comme un signe précurseur du danger

D’un futur forcément meurtrier

Nous pouvions bien mourir, à l’instant

Puisque tout renaît et rien ne ment

Comme le poète au front haut

Tu ne peux qu’être seul

Si tu pleures la lune à chaque fois qu’elle est noire

Tu peux pleurer sur chacun de mes départs

Tu sais pourtant qu’elle revient toujours

Et que moi je partirai encore

Bien sûr les marins frôlent la mort

Quand leurs navires craquent trop fort

Alors tu as peur

Puis c’est toi qui t’en iras, enfin t’affranchir

Je m’écroulerai alors sous une salve de rires

Comme un clown qui devient le dernier spectateur

De sa tournée d’adieu, de son courrier du cœur

Je me mettrai sur mon trente et un

Pour la dernière de nos deux parfums

Pour imbiber la peau d’une page blanche

Tes mots tendus autour de mes hanches

Comme la geisha, interdite d’aimer

Je ne peux être que seule

Comme tu reviendras, lourd de tes vies intérieures

Je ne serai jamais déchirée, jamais peur

Puis le temps nous figera, il nous battra tambour

Alors il me faudra rire de nous, mon amour

A gorge déployée, à l’explose

Car il faut bien rire de quelque chose

Nous avancerons soudain économes

De nos cœurs, nos derniers métronomes

Comme le poète au front haut

Tu ne peux être que seul

Si tu pleures la lune à chaque fois qu’elle est noire

Tu peux pleurer sur chacun de mes départs

Tu sais pourtant qu’elle revient toujours

Et que moi je partirai encore

Bien sûr les marins frôlent la mort

Quand leurs navires craquent trop fort

Alors tu m’en veux

Là-bas, dans cet autre nous deux, la mémoire blanche

Il nous faudra recommencer, et chaque dimanche

Quand tu auras tout oublié, jusqu’à la lie

Je te parlerai de nous, du plus beau de nos vies

Comme le poète et comme la geisha

Qui vivent seuls et meurent à deux, je crois

Que j’entendrai galoper dans ta voix

Encore le petit cheval de Lorca

Report this text