Assourdissant contraste

Mathieu Jaegert

Le verdict était tombé à l'instant. Je venais de recevoir de plein fouet la lourde peine, sans appel possible. Mes épaules ont plié sous le poids de la sentence. A mesure que je faisais le vide et qu'on évacuait la salle, je ressentais la cohue des circonstances agravantes accabler ma nuque, mon dos, mes yeux. Elles se liguaient pour peser encore plus lourdement sur la condamnation irréversible prononcée quelques secondes plus tôt. Je n'avais rien vu venir, et le sentiment de culpabilité n'en était qu'accentué. Jusque là, ma liberté me permettait de me retrancher à ma guise dans ma bulle. C'était ma force, je savais éparpiller des miettes de silence sur le vacarme alentour pour établir des distances confortables à la pratique de mes activités. D'habitude, c'est moi qui choisissais de ne plus entendre ou de ne plus écouter. Aujourd'hui on m'imposait le silence. L'arme s'était retournée contre moi. Cette faculté à m'isoler pour observer et m'approprier la teneur de mon environnement volait en éclats douloureux. Ma tour d'ivoire me laissait libre de contempler le silence ou de le boire à pleines gorgées, à m'en rendre ivre ! Ouïe fine et vision acérée me donnaient l'occasion de retranscrire au plus juste mes émotions, mes ressentis, mes opinions. Je composais avec le silence pour ficeler mes textes et ma musique. J'avais sûrement commis des imprudences, des erreurs qui m'avaient conduits ici. Et pourtant, tout ça me paraissait tellement disproportionné.

D'une phrase fatale, l'homme costumé, déjà sorti de la salle, avait signé la fin du monde que j'avais imaginé. Mes espoirs s'étaient évanouis et le silence frappait. Un silence inouï ! J'ai gagné le couloir. Mes pas résonnaient mais je continuais à ressentir ce silence. Je l'entendais trop d'ailleurs. Il me dérangeait alors qu'il avait été jusqu'à maintenant un allié fidèle. Les murs du tribunal improvisé semblaient me murmurer leur peine, la sortie semblait tellement loin, et la lumière naturelle, si la nuit n'était pas tombée, prenait soin de rester cachée dans mon dos. Comme un mauvais présage. Le traditionnel brouhaha de ce genre de lieu parvenait péniblement à mon cerveau. J'étais ici sans l'être et ça devait être une sensation banale pour un condamné comme moi. La phrase avait été brève. Le bourreau avait choisi ses mots. Je me la suis remémorée et répétée alors que j'arrivais à l'accueil. Je ne pouvais en croire mes oreilles. Et pourtant, il fallait bien leur faire encore confiance. Aucun doute, les années avec sursis se confondraient très vite avec la peine ferme. La condamnation à mort n'existait plus mais pour moi c'était tout comme.

Les portes de l'établissement se sont ouvertes. Je devais profiter dès maintenant des bribes de liberté qui s'arrêteraient net dans quelques mois. J'ai quitté les lieux en emportant tous ces échos, ces bruits, ces sons. Quoi qu'il arrive, ils m'habiteront longtemps.

Le verdict était tombé et je ne pouvais m'y résoudre.

C'était inéluctable, je deviendrai sourd. Le docteur venait de me l'annoncer.

Alors j'ai hurlé ma rage, j'ai crié jusqu'à ne plus entendre le silence qui s'était abattu sur ma vie.

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