Dans l'ascenseur

selig-teloif

Voilà, l'action se passe dans un ascenseur. L’ascenseur est un vrai petit monde à lui tout seul. Moi qui suis le psychologue du café de la mairie, je dis toujours que l’ascenseur, c’est comme la pizza, c’est un vrai miroir de l’âme.

Je ne sais pas si vous avez remarqué comme il existe plusieurs manières de manger une pizza. Les minutieux, les rigoureux ou les psychorigides commencent par la découper en quarts égaux, voire en huitièmes pour les moins pressés, puis attaquent chacune des parts de la même façon : par le coin. Les négligents, les jemenfoutistes ou les artistes n’ont pas de méthode. Ils peuvent manger trois pizzas de manières différentes et presque toujours de manière anarchique. Le premier bout, sauf s’ils sont aventuriers ou peu réfléchis, ils le prennent en face d’eux en entamant la croûte.  Les suivants, c’est souvent n’importe quoi ! ils peuvent aller vers le centre de la pizza ou repiquer vers les bords pour mieux revenir vers le cœur.

Bref la pizza est comme l’ascenseur.

Dans un ascenseur, l’homme en tant qu’être se dévoile. Regardez celui qui vient d’entrer ! Beau gosse, cheveux gominé, chemise à carreaux et cravate unie assortie à  ses chaussettes. A peine entrer, petit coup d’œil au miroir au fond de la cabine. Petit sourire, tout va bien ! Remarquez comme son sourire disparaît si par  malheur, la cabine est pleine et la glace inexploitable. Le beau gosse recherche alors des yeux féminins pour connaître sa situation esthétique.

La brune. La trentaine,  cadre sans doute, du marketing surement, dynamique dans tous les cas. Elle fait une entrée énergique puis appuie quatre fois sur le bouton qui oblige les portes à se refermer en soufflant de rage comme si le simple vent issus de ses bronches  aller actionner les vérins !

Je me suis toujours dit que ce bouton ne servait à rien. C’est vrai, refléchissons.. Le temps que  l’on met à le trouver, à se poser la question lequel des deux retient ou ferme les portes, d’appuyer, en général , les portes ont déjà unilatéralement décidé qu’il était sage de conduire tout son monde aux étages désirés.

Moi j’adore laisser les portes agir. Quand je suis seul dans la cabine et que les portes vont se refermer, je me dis toujours qu’au moment où les deux pans vont s’unir pour emballer la machine, je vais voir apparaître des mains féminines retenir l’ascenseur, que les portes s’ouvriront et que comme dans les films, la femme de ma vie  fera une entrée au ralenti dans la cabine ! Souvent, quand cela arrive vraiment, la sculpturale personne se transforme en barbu de la compta !

Enfin voilà. Je suis dans cet espace du tout possible, accompagné maladroitement de deux personnes qui profitent de la trentaine de secondes que durent l’ascension  pour  dire tout le mal qu’elles pensent de leur voisine de bureau

Je pense que l’une d’elle a mangé des frites ce midi.

J’avais décidé qu’en partant du premier étage et en allant au quatrième, il serait plus rapide et moins épuisant de prendre l’ascenseur plutôt que l’escalier. Mes deux co-cabinaires y étaient déjà. Nous nous arrêtons au deuxième étage. L’envie de descendre et d’emprunter les marches ne m’a pas effleuré. Le beau gosse du paragraphe précédent monte accompagné de la marketicienne du même paragraphe. Visiblement, entre midi et deux, ils couchent ensemble ou alors le regard lubrique du gominé et la main sur la fesse sont une erreur. D’ailleurs, elle, n’appuie pas sur le bouton qui ferme la porte, preuve qu’elle pense à autre chose.

Nous repartons pour nous arrêter aussitôt. Au troisième. Encore une fois, je me dis qu’il vaut mieux finir cette course incroyable dans une odeur de frites gominées plutôt que dans le froid de la cage d’escalier. Le barbu de la compta entre en râlant que cela fait dix minutes qu’il attend ce foutu ascenseur et qu’il y a à peine de place pour lui. Nous nous disons tous en silence que dis minutes, c’est peut être exagéré mais nous nous poussons pour le laisser entrer. Je me retrouve au fond en me disant que je dois sortir au prochain arrêt. Je suis un peu comme ce touriste dans le métro parisien à 18h30 qui transpire à grosses gouttes au milieu de l’allée en se disant qu’il n’arrivera jamais à sortir de ce cloaque.

Arrive le quatrième étage, je commence. « Pardon, pardon, je dois sortir » Le barbu ronchonne, se pousse à droite quand j’avais choisi d’aller à droite, me rebiffe, part à gauche lui aussi, la brune du marketing se retrouve coincé entre la paroi, le beau gosse qui n’en demandait pas tant et la femme à l’haleine Lesieur. J’arrive à m’extirper et me dirige guilleret mais fatigué vers le couloir de  destination. Derrière moi j’entend « Retenez l’ascenseur ! », me retourne et j’ai juste le temps d’apercevoir des cheveux blond virevoltant au dessus d’un tailleur beige recouvrant des jambes sublimes.

Sans doute la femme de ma vie.

Signaler ce texte