L'Encrier

Colette Bonnet Seigue

L’ENCRIER

Je le vois encore cet encrier posé là, sur le bureau de mon père. Objet banal en étain gris souris. Le réservoir trônant sur un plateau soudé où reposaient un troupeau de crayons et stylos.

Mon préféré : le stylo-plume noir trophée d’écritures d’où pleins et déliés au gratté assuré s’étiraient sous les doigts élégants.

Mon père maîtrisait  honorablement l’art des mots aux jambages réguliers et volutes aussi sensibles et légères que la voix d’une flûte traversière.

Fière, je l’étais ! Il était mon modèle, mon autre plume, embryons de mes mots pas encore dits ou enfantés mais déjà gravés dans la vague d’encre indélébile.

A l’âge de mes balbutiements, il m’arrivait de regarder prostrée ce père aux doigts magiques. Et je louais déjà, sans comprendre la beauté du tracé sur le blanc vélin. Plus tard, c’était une certitude, j’aurai ce stylo-plume- là,  trempé amoureusement dans cet encrier- là ! J’entends encore le doux clic de sa pompe aux effluves du bleu profond.

Puis, j’ai grandi avec les premières expériences des pleins et déliés plus raides sous mes doigts d’apprentie. J’étais pourtant si appliquée à copier-coller les envolées de mots paternels ! Et, je le regardais encore et encore dans mon trou de souris, vérifiant sans limite ces doigts pour dupliquer leur mesure.

Certes, mon père avait cette écriture angélique, maîtrisant aussi à souhait syntaxe et orthographe. Fière de lui partager mes premiers essais rédactionnels, je comprenais à travers une moue insatisfaite que j’avais encore à travailler le style et  en effacer les fautes ! Mais, j’aimais venir à son bureau seulement pour y poser à jamais la mémoire  des mots  qui s’accrochaient déjà à mon destin scribouilleur.

Aujourd’hui, l’encrier et le stylo reposent dans quelque repère familial où le passé dilapidé a perdu son âme, mais, la mienne  n’a rien échappé des volutes épistolaires au bleu encore neuf sous les doigts magiques qui conduisent à jamais les miens  sur des sentiers d’écritures voyageuses…

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