Les chiffres parlent d'eux-mêmes, ça vous dit quelque chose ?

Les chiffres, on leur fait dire ce que l’on veut. A tel point que parfois, ils finissent par parler d’eux-mêmes. Non pas qu’ils s’accaparent la parole ou les lumières médiatiques, mais certains d’entre eux peuvent se passer de commentaires. Pourtant, les journalistes et autres chroniqueurs ne peuvent s’empêcher de poursuivre leur propos, agrémentant « les chiffres parlent d’eux-mêmes » par un « jugez plutôt » adapté s’il n’était suivi d’une tirade servant d’analyse peu convaincante.

Mais revenons à l’idée initiale. Si on fait dire ce qu’on veut aux chiffres, c’est une marque d’habileté en quelque sorte, signifiant l’art de les manipuler librement et astucieusement. Cependant, cette liberté se heurte vite à ses limites, « ce qu’on veut » se transformant rapidement en « n’importe quoi ». On fait donc souvent dire n’importe quoi aux chiffres, à moins que ce soit les chiffres qui nous poussent à dire n’importe quoi, peu importe comment et en quelle circonstance.

Illustrons cette faculté à détourner les chiffres de leur signification première. Il semble ainsi acquis que ce texte présente 12.7 % de chances de plaire à tout le monde. Mais si je décide de me surpasser et de me donner à 200 %, en écartant évidemment toute tentation que ma plume pourrait avoir d’ingurgiter quelque substance dopante, à quoi ressemble le pourcentage ?

C’est à partir de ce type de postulat biaisé que l’on construit ses victoires. Ou plutôt que l’on croit les construire dans un élan de positivisme béat aboutissant à des performances bancales. Ça a été exactement la technique employée par un cycliste français sur le dernier Tour de France. « J’ai envie de gagner l’étape, j’ai peu de chance d’y parvenir, je vais donc rouler à 200%... ». Il n’a pas gagné…Peut-être que 300% aurait été préférable. Comme quoi, s’improviser statisticien n’est pas à la portée de chacun, tout sportif de haut niveau que l’on soit. Les politiques eux aussi ont toujours su afficher un optimisme exagéré en commentant les courbes du chômage. A coups de modifications d’échelles bien senties et de présentations graphiques millimétrées, un simple frémissement de l’emploi devient bond respectable présageant dans la bouche de nos dirigeants d’autres rebonds appréciables. Dès lors, pour inverser les tendances, on inverse les chiffres et on chamboule jusqu’aux méthodes empiriques.

Mais bien sûr, le plus efficace pour manipuler les foules reste la mise en scène du catastrophisme. Comment va-t-on pouvoir financer les retraites si l’espérance de vie augmente d’un trimestre par année ? Peut-être en évitant ce genre d’intitulés partiels ! Un trimestre, certes, mais à la naissance ! Passé 55 ans, on ne gagne pas autant d’espérance de vie.

Bref, si l’envie de clamer haut et fort « ils prennent les gens pour des cons ! » vous vient en écoutant les commentaires avisés d’un journaliste averti ou d’un politique aguerri, c’est normal, c’est le cas. Mais ça signifie peut-être qu’ils ont oublié que les gens le sont, cons !

Il est finalement si facile de débiter des inepties ou d’enrober la vérité devant les caméras et les micros quand la mise en scène est soignée et l’exploitation des données – et des opinions – est minutieusement retravaillée derrière. Toutefois, ce qui est valable pour les chiffres l’est aussi pour les photos et pour les mots !

Il n’est ainsi pas rare que j’aligne des bêtises par écrit. D’ailleurs, c’est comme à la Française des Jeux, cent pour cent des lecteurs qui tentent de m’interrompre n’ont aucune chance d’y parvenir ! A se demander même si cette dernière phrase ne jouera pas sur la proportion de gens qui auront aimé ce texte.