Maman, je suis un grand garçon

tzsara

 

« La tristesse coule dans les veines de l'homme comme une poudre cristalline. Elle colle au corps et puis au dos. Et puis aux sourires. - Il faut vomir ses tripes ou mourir. Et puisqu'il est à croire que la fortune du maudit se pèse à l'encre de son sang et que ses rires font revaloir la bile du monde, il doit se taire ou qu'on le tue. »

Je pèse le poids de ma fortune ; deux doigts, une ombre et l'infortune. Maman veut que je voie le monde en homme. Et moi, je porte l'instinct féminin au fond de mon ventre. Le monde se plie en deux. Et moi, je me torture. Je replis mes doigts et mange la pomme de ma main. Et ce matin, je recompte ma fortune ; un bras, un rêve et un mot. Je ne connais pas ma métrique et les quelques syllabes en vrac bousillent mes tripes. Je suis un son muet ; le gargarisme de mes irrégularités phoniques. Guillaume croit que je suis un jaloux atrabilaire qui abrite la solitude. Et moi, je ne suis que l'éternel amoureux des bras massacrants qui m'assassinent. Je porte le monde en famine.

L'œil du ciel me lance des foudres de désir. Les dieux ouvrent leurs entrejambes aux cris des femmes. Et je gémis. Je gémis aux sons incertains des corps qui se tordent de plaisir. Le désenchantement baise les filles du calvaire sur un lit de chimères. Il vend du rêve dans des volcans de vers dorés. Il y a de l'eau dans son regard et un morceau d'horreur. Et les putains jouissent dans l'indélicatesse de son doigté. Le désenchantement a le chagrin en bouteille et le ciel en main. Il a quelquefois des adresses d'infortune – les entrecuisses des femmes.

Les femmes pleurent et mouillent mes reins. Et je verse mon sang au son de ta voix. Triste de moi et de mon sein, je sillonne à demi pas la devanture de la porte. La misère me troue les yeux et cristallise mes pleurs. Elle me susurre haut et dur le refrain du malheur. Je vomis l'écrin de mes yeux et les tristes maux de mes entrailles. J'ai mal partout et des plus tristes manières ; je me plie en deux, je me plie en quatre, je me plie en mille et je me tords de douleur. Le nœud au ventre et la boule au tronc, je sirote un air de misère. L'air de rien et les pieds six pieds sous terre, je me disperse de travers ; au vent des rayons de lumières. Je pianote des notes transvides. Et puis, des notes transvases. Et puis, des mélodies insonores. Et puis les tristes mots de la mort. 

Et puis, je pleure mes yeux avec des mots bavards. J'ai mal aux os et au plus profond de mon corps. Le chagrin traverse mes veines en tourbillon. Il écrit des lettres d'amertume. Je traverse en tous sens la glaire du temps. Et je tourne en rond ; je tourne de mille façons et bois mes viscères. Au bout de la énième ronde, je vomis mon vin et la bile de mes intestins. La nausée me tient au dos et fait les mille pas. Elle me cloue par terre. Et je vomis mes tripes à chaque coup de rein. Le tonnerre gronde et vole mes blessures. Il n'est plus besoin de mots, faut-il encore que je me torture ? Et puisqu'il est désormais un peu tard et que je n'arrive plus à rire, dis-moi, dis, faut-il encore dessiner avec une craie indolore le triste visage du bonheur ?

Le dernier coup d'archet achève la danse. Il porte en lui la misère du monde. Il bafoue les plaisirs et les envies mortes ; les cris du crépuscule et les plaintes du pianoforte. Le violoncelle pleure ses cristaux de poussières et transporte sur sa route mon sang et mes viscères. Le vin de tes yeux recrée la dissonance. Et je pose mes débris au pied de la porte ; un cri, un péché et l'horreur. Je replis mes mots et ravale mes tripes. La nausée du monde accueille mon infortune. Le pleur ravale ses larmes et vomit ses reins. Et moi ! Moi, je garde en moi le souvenir de ton sein. Mes jouissances sont des balbutiements sauvages. Et je n'ose plus gémir sans douleur. Tous mes maux se prennent à ton corps. La douleur passe et me donne un morceau d'amertume. Le goût de l'asphalte se porte dans les veines.  Et la fortune du maudit se compte sur son seul doigt. Je vois le désir se dessiner à l'ombre de mes tortures. Et emporte avec lui et mes rires et mes blessures. Et puis viennent les pleurs et les amours mortes. Et tu prends tout ; même mes prières. Tu prends tout, jusqu'au dernier souffle de poussière.

 

 

 

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