Placé en observation
Mathieu Jaegert
Cela a commencé par un café en terrasse. Puis deux, puis trois. Au début, je pouvais facilement passer deux semaines sans revenir m’installer dans ce genre d’endroit. Cette habitude s’est cependant vite transformée en envie irrépressible. J’ai frôlé la mise en observation d’office. J’en ai savouré, avalé, ingurgité des tasses avant de comprendre. Finalement, ce que je prenais pour un comportement malsain n’était ni plus ni moins que la manifestation d’une qualité essentielle. Le café a pu poursuivre son œuvre. De la même manière que le chocolat en quantité ne saurait constituer une addiction, la pratique n’était en rien une drogue. Au contraire. Je suis donc revenu me positionner là et j’ai fini par varier les plaisirs et les lieux. Toutes les terrasses font désormais l’affaire.
Bien sûr, le café n’est qu’un prétexte. En plus du plaisir matinal qu’il procure, il me donne une certaine contenance et sert de catalyseur à mon activité quotidienne. Il accompagne mes séances en terrasse et présente des similitudes avec les capacités que je développe aux premières loges.
En effet, cette qualité bien exploitée possède les vertus d’un bon breuvage qui prend le temps d’infuser ou de diffuser ses bienfaits dans le corps.
Je me place donc moi-même en observation. Tous les jours un peu plus, tous les jours un peu mieux. J’ignore où ce manège me mènera mais je suis persuadé de son utilité.
Les villes au réveil sont de généreuses pourvoyeuses de scènes de vie. Les couleurs sans cesse changeantes de l’aube confèrent une dimension particulière aux bâtiments, aux monuments et au fourmillement humain du jour naissant. Se laisser aller à l’observation des alentours est instructif. Pour moi, c’est devenu un besoin impérieux. Tasse de café à la main, je bois du petit lait.
Il y a cependant des façons de faire qui conviennent mieux que d’autres. Il s’agit de laisser venir à soi les informations de tout ordre sans jamais forcer. Capturer ici un instant de vie, là une odeur subtile ou une émotion fugace, puis laisser reposer. Une fois décantés et infusés dans les limbes de sa propre imagination, les ingrédients peuvent prendre la forme d’anecdotes ou de bouts d’histoires croustillantes, aidés en cela par les ustensiles appropriés jamais loin. Je ne me sépare plus de ce stylo fidèle et d’un ou deux carnets réceptifs. Ils sont là au cas où et ne brusquent jamais les choses. Si je crains que l’embryon d’idée vacille, je me saisis de ma plume. Mais ils n’interfèrent que rarement, ils ne font office que de béquille à ma mémoire. Le mieux est d’abord de s’imprégner délicatement des humeurs de la ville et de ses acteurs, d’humer l’atmosphère, l’ambiance, de scruter les comportements, les réactions et les dialogues qui s’improvisent entre livreurs et promeneurs, entre commerçants et balayeurs, ou entre pigeons et bergeronnettes.
La recette est variable et adaptable aux saisons. Une scène insolite peut générer un récit conventionnel alors qu’une discussion sérieuse peut aboutir à un texte cocasse. De la même façon, le décor en apparence figé d’un matin d’hiver revêtira peut-être les formes de descriptions enlevées.
La juste perception des saveurs de son environnement et leur absorption à doses raisonnables conduit à une stimulation savoureuse des sens.
Le résultat se déguste après retranscription en quelques lignes chez soi, plusieurs heures ou même plusieurs jours plus tard. Ce procédé dilue le souvenir juste assez pour que la fiction prenne le relai.
Aucun carcan ne résiste aux facultés de l’observation.
Elle n’est en rien de la curiosité mal placée dès lors que le rêve se substitue à la volonté farouche de connaître la vie d’autrui. Les manières d’assimiler ce qu’on entend, voit ou ressent sont multiples mais l’observation laisse le protagoniste libre de ne retenir que les fragments dont son imaginaire ou sa plume ont besoin.
C’est la réflexion que je me suis faite un beau jour à la terrasse d’un café. Je venais d’accepter ma condition et j’assumais enfin la pratique comme une arme redoutable et précieuse, à travailler et entretenir régulièrement pour peaufiner quelques écrits. Ma tasse à la main, les informations me parvenaient sans aucun effort désormais. Je ressentais la ville des pieds à la tête alors que le café semblait prendre le chemin inverse. Un drôle d’effet de capillarité se produisait en moi.
Du buvard ainsi créé jaillirait sans doute quelques réflexions sur l’observation comme qualité essentielle…
L'effet de capilarité que vous décrivez et les résultats de la technique, de la position d'observant, parfois sans relation directe avec les "entrants", pourraient prendre place dans un manifeste. Mais pourquoi l'appréhension de départ envers le café, pourquoi ensuite l'apologie ? Il y a là un point de tension intéressant... Le café prélève-t-il un paiement pour ses services ? (Je ne cache pas que mon commentaire poursuit dans le sens du lien que vous avez établi entre nos textes).
· Il y a plus de 11 ans ·Yannick Bériault
Passation ultime vers le réel se décline...mais à jamais maintenant se glisse..le principe de la victime aux cafés qui sans clope doit se résilience-avérée...condoléances...et bonne année!!! ;0)
· Il y a presque 12 ans ·nephelie
"Tentative d'épuisement Parisien" Georges Perec. Je te le recommande, si tu ne l'as pas déjà lu.
· Il y a presque 12 ans ·Lézard Des Dunes
C'est clair, de l'observation on a la connaissance, mais je dirai aussi que les rencontres que l'on fait aux terrasses des cafés ont parfois beaucoup d'impact ne serait-ce que de converser avec des personnes inconnues qui nous apportent toujours quelque chose... Bonne année Mathieu!
· Il y a presque 12 ans ·yoda
Un beau texte méditatif. L'écriture c'est aussi ça pour moi= créer une habitude, un rituel pour permettre à l'écriture de devenir une seconde nature et laisser les souvenirs, les observations et les émotions disparates nous guider (au moins pour le premier jet). L'écriture c'est trouver l'harmonie dans les contradictions, un sens dans l'absurde. L'écriture, pour moi, ce n'est pas épater à tout prix par la prose, par des phrases incendiaires, univoques et condescendantes. Écrire c'est communiquer avec l'autre au sens noble : mettre en commun notre humanité . Ouf ! Voilà ce que m'a inspiré ton texte Mathieu !
· Il y a presque 12 ans ·Merci! J'adore encore ! Tes textes sont jouissifs ! Au plaisir de te lire !
Alain Le Clerc
Bravo !
· Il y a presque 12 ans ·Pascal Germanaud
curiosité et observation sont les 2 mamelles de l'inspiration .. et notre Mathieu possède les 3, le veinard !
· Il y a presque 12 ans ·Bonne année à tous les WeLoveWordiens
woody
tres bon comme toujours, bonne annee 2013 a toi
· Il y a presque 12 ans ·christinej
· Il y a presque 12 ans ·merci de ne plus me contacter.
yfig
super café qui te réussit et nous réjouit ! BONNE CONTINUATION surtout et BONNE ANNEE Mathieu !
· Il y a presque 12 ans ·tendresse
Alors belles inspirations pour 2013 Mathieu... Et délectes-nous encore de tes récits !
· Il y a presque 12 ans ·nilo
Bien vu.
· Il y a presque 12 ans ·Bon 2013
yl5
J aime bien.
· Il y a presque 12 ans ·Bonne annee mathieu
Helene Bartholin
Un très beau texte pour commencer la nouvelle année. J'ai vraiment aimé cette lecture.... Méditative....
· Il y a presque 12 ans ·Tous mes voeux d'écriture pour 2013
bleuterre
bravo Mathieu l'observation est en effet un des meilleur moyen pour prendre conscience de ce qui nous entoure , sur ces bons propos joyeux réveillon et si tu as chance d'être en public ouvres les yeux .... et racontes
· Il y a presque 12 ans ·franek