Plastique irréprochable (version finale)

Ce texte est la version définitive. Il a été retenu parmi les lauréats d'un concours organisé sur le thème "Les 4 éléments" et publié depuis...

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Elle me fascinait ! Plastique irréprochable, silhouette élégante et courbes harmonieuses. Paradoxalement elle n’attirait pas d’autres regards avertis que le mien. Pourtant, lors de cette rencontre, un malaise m’envahissait, une interrogation indéfinissable me taraudait.

Elle m'avait vu venir. Elle m'a très vite interpellé, sentant l'empathie qui naissait en moi. Elle m'a conté sa vie dissolue. Il fallait la sauver des eaux et lui faire oublier les caresses de l'alcool. Je voyais encore leurs vapeurs insidieuses s'inviter dans son regard fragile. Elle n'avait d’ailleurs aucune raison de tremper dans ce fléau. Elle n'était pas destinée à s'entourer de brumes éthyliques.

On a fini par parler de tout. Je buvais ses paroles tout en imaginant la meilleure solution à son problème.

Elle voulait changer de vie, tout reprendre à zéro. Comme spécialiste de la question, je lui ai fait part du choix consistant à retrouver sa première vie débarrassée des affres qui l'avaient menée jusqu’à moi. Ça n'a pas semblé lui plaire. Elle voulait se confronter à d'autres éléments. Le contact de l'eau la répugnait. Elle souhaitait se bâtir un autre avenir, respectueux de la Terre qui l'avait fait naître.

Elle cherchait une raison d'être.

Comme elle avait raison ! Cette première solution n'était que partielle. Je lui ai souri. Elle avait été délaissée par ses pairs, soumise au feu des critiques, il était vital de lui faire prendre conscience qu’une deuxième solution existait : Une nouvelle vie ! Des spécialistes pourraient s'occuper d’elle sans lui faire renier ses origines. Ils sublimeraient son existence et la présenteraient à un public avide qui porterait sur elle un regard attentif si elle acceptait de participer à des expositions et de fréquenter les galeries et les musées.

Ils lui redonneraient des couleurs, un souffle, l'intégrant à un cycle valorisant ses qualités intrinsèques. Elle changerait d’air et de catégorie, elle, la bouteille plastique, passant du statut de déchet banal, à celui de muse évocatrice, transfigurant l'ordinaire, réhabilitée par des plasticiens, des sculpteurs, des artistes, des poètes.

Ces chercheurs de l'or durable qui dort dans l'ordure...

Elle échapperait ainsi au feu de l'incinérateur, source inépuisable d'énergie qui effacerait ses souvenirs les plus chers, pour connaître, comme le verre, un recyclage sans revers.

Entre les mains habiles de ces artistes talentueux, elle redécouvrirait des postures, des attitudes, des humeurs mêlées d'un parfum oublié ou d'un rire enfoui, qu'elle offrirait aux regards de tous ceux qui l'avaient destinée un peu vite au néant anxiogène.

Le projet l'enthousiasmait. Elle m'a déclaré en partant qu'elle en toucherait quelques mots aux autres éléments de la famille des emballages, le verre, les métaux et les cartons.

Elle m'a lancé rieuse : "Personne ne pourra plus me traiter de déchet !"

Je l'ai regardée s'éloigner et j'ai compris soudain l’origine de cette gêne imperceptible que j’avais ressentie lors de cette rencontre : Elle s’était allégée, amincie par la folle idée d'industriels soucieux d'économiser la matière.