Relativité anisée

Mathieu Jaegert

Mes collègues aimeraient que je fouette d'autres chats. Même s'ils ne font pas tout un pélardon de mes cuvées anisées, ils seraient soulagés de me voir ramener ma garriguette de Nîmes un peu moins souvent.

Conscient de la nécessité de diluer le pastis pour noyer aveuglément les carpes muettes et ainsi rester – temporairement - sourd à l'appel de ma plume provocatrice, je vous propose d'orienter la cuvée quelque peu différemment.

Tentons ainsi de faire la lumière sur quelques interrogations légitimes quant aux origines et aux motivations de l'auteur.

Vous commencez à savoir que je suis un observateur alsacien en immersion dans le Gard, partie prenante de ce que j'ai fini par nommer "le Sud Anis".

Mais comment l'autochtone reconnaît-il l'alsacien ? Quels sont les moyens de le démasquer facilement ?

C'est très simple.

D'abord, il a un nom à coucher dehors. C'est vrai, et heureusement pour moi, ici, les nuits sont douces.

Ensuite, l'alsacien digne de ce nom, et pour se conformer à la légende, fait preuve d'une rigueur toute bancale qui semble dévier aux yeux des gardois vers une tendance avérée à pinailler. Et pourtant je ne suis pas venu dans le midi pour chercher midi à quinze heures, horaire de la sieste traditionnelle.

Dernier indice sérieux, l'accent. Mais là tout est relatif. Je n'ai pas l'accent alsacien, et jamais personne ne m'avait attribué un accent, si ce n'est éventuellement un vague accent dit "parisien" dans cette façon de parler un peu vite. Bien sûr ici, ils ont vite compris que je n'étais pas des leurs. Je ne me conformais en effet pas aux coutumes locales en matière d'inventions sémantiques et syllabiques, déjà développées par ailleurs.

D'autres indices accentuent nos différences. Quand en ce mois de septembre, le thermomètre matinal s'est délesté de quelques degrés pour atteindre un respirable 17°C, je me suis délecté de les voir tous arriver au bureau couverts comme je le serai à Noël.

Alors bien sûr, mes origines ne sont pas écrites sur mon front. Lorsque je croise des habitants de mon nouveau village au Nord de Nîmes, les contacts qui se nouent donnent parfois lieu à des dialogues épatants :

"Vous êtes du cru ?"

"Non, je suis alsacien"

"Ah vous êtes du Nord !"

Comme Colmar, ma ville natale est à plusieurs centaines de kilomètres du Nord de la France, je réplique en général :

"Non, de l'Est !" et je retourne la question, désormais sûr de la réponse :

"Et vous, vous êtes d'ici ?"

"Ah non, pas du tout, j'habite le village, mais je suis originaire du village d'à-côté"...Et je dois me pincer fort pour ne pas pouffer quand la personne ajoute :

"J'ai suivi ma femme".

En effet, vu comme ça, tout est relatif.

Les partisans de la réforme territoriale n'ont plus qu'à bien se tenir. Il existe plus de rivalités de clochers que d'églises en France. Ca ne va pas être simple !

...A suivre...

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