A l'insuline de leur plein gré ?

Mathieu Jaegert

La question piquante du dopage est prise à l’envers. C’est tout l’objet de la subtile démonstration qui suit. L’essentiel est en effet relégué au second plan : comment le fléau s’est-il généralisé ? Certainement pas « à l'insuline de leur plein gré » ou par le biais de quelques formules hasardeuses et autres bons mots d’entraineurs ou de médecins peu scrupuleux aux injonctions et injections faciles.

A s’acharner sur le cyclisme, on a fini par pédaler dans la semoule pour établir des classements vides de sens. A coups de rétropédalages forcés, les palmarès se sont vus chamboulés et la littérature tronquée. Tenez, rien que les livres des records sont bourrés d’erratum. Vu son exposition, le cyclisme est le bouc émissaire idéal, le rayon qui cache le vélo, le cycliste qui cache le peloton, et le peloton qui cache le monde de l’Olympisme. A défaut de roues voilées, on se voile la face. Ces similis affaires dopent temporairement les ventes de papier. Cependant, quid des autres disciplines ? En farfouillant parmi les brèves déjà froissées, il est facile de trouver des informations non passées sous silence mais masquées par le peloton. Ainsi, il est prouvé que le dopage est plus présent dans le microcosme du curling ou dans le monde du billard. Ces révélations à peine croyables m’ont mis la puce à l’oreille, me poussant à poursuivre mes investigations. J’ai donc balayé un certain nombre de sports avec une mention particulière aux plus confidentiels, aux moins médiatiques. Je suis vite tombé sur la pratique du Rubik’s Cube à haut niveau.

Avant d’établir un quelconque lien avec la question qui nous taraude tous, laissez-moi vous rafraîchir la mémoire, voire éclairer votre lanterne. Nous avons tous eu entre les mains ce cube de vingt-six petits dés colorés et articulés. A de rares exceptions près, nous nous sommes tous escrimés sur l’objet, frôlant l’agacement et l’envie de le jeter à terre violemment. Mais laissez un Rubik’s Cube à un expert et vous verrez, il devient surexcité, pas  autant que Nadine Morano à la simple évocation de Nicolas Sarkozy, mais presque. Il faut savoir que le cube présente quelques dizaines de trillons de positions possibles, à quelques centaines de millions près, c’est-à-dire beaucoup. Il faut savoir également qu’un être normalement constitué mettrait 1 200 ans à toutes les étudier, autrement dit beaucoup trop. Qu’à cela ne tienne, il y a des types qui excellent dans cet art, s’entraînant sans traîner neuf heures par jour pour parvenir à des records de rapidité. D’ailleurs, vous ferez attention si vous avez ce privilège immense de voir des images, c’est bien la seule discipline où même les ralentis paraissent accélérés. Evidemment, ce n’est pas télégénique. Quand les temps homologués avoisinent les sept secondes et que les seules couleurs et actions sont dissimulées par le mouvement fou de doigts intenables, il est illusoire de vouloir commenter quoi que ce soit. Même un arrêt au stand en Formule 1 est plus simple à décrire en direct, c’est dire ! Ou alors il faut faire preuve de l’enthousiasme exagéré caractérisant tout commentateur avant même le début de l’épreuve. Pas une sinécure ! Pour les organisateurs des compétitions, la frustration est bien souvent au rendez-vous. Imaginez, ils passent plus de temps à mettre en place une position initiale commune que les concurrents à triturer le cube pour la résoudre. Un peu comme si une partie d’échecs durait moins longtemps que l’installation des pièces sur l’échiquier.

Les adeptes ont à cœur d’enchaîner les records Pour ce faire, rien de tel que diversifier les épreuves. En extérieur, en salle, d’une seule main, avec les pieds. Mention spéciale à la catégorie « Rubik’s Cube  en récitant les plus grands poèmes de Baudelaire ou de Christophe Maé ». Leur rêve de gloire en tête, ces champions ont su développer des méthodes infaillibles. Vous comprenez bien qu’ils n’ont en effet pas 1 200 ans à perdre sur la résolution d’une telle énigme. Il y a donc les techniques officielles portant le nom de leur inventeur, et les officieuses portant la marque de la confusion. A ce petit jeu, il paraît que la résolution par dichotomie aboutit à des performances suspectes, permettant de réussir les yeux bandés. Même les daltoniens y arrivent maintenant avec la même vélocité que les autres. Ce qui n’est pas une mince affaire et suscite moult interrogations. Et en parlant de vélo cité dans les affaires, on touche du doigt le cœur de cette chronique. A ce titre, cette question doit vous brûler les lèvres : mais quelle peut donc bien être l’utilité du Rubik’s Cube ? Eh bien justement ! Pendant que les caméras sont braquées sur le Tour de France, les salles de Rubik’s Cube font office de laboratoires d’essais, d’antichambres du dopage organisé. CQFD.

Le scandale est là et je tiens à le révéler à la face du monde et aux faces de tous les Rubik’s Cube de la planète. Mais avant de jeter l’opprobre sur la discipline et le cube à la poubelle, élargissons le débat et ayons de la considération pour les joueurs. Ce sont souvent des jeunes exploités dont les primes de risque servent à financer leurs études. Et si donner un coup de pouce aux étudiants était la question centrale permettant de s’attaquer au dopage ?

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