La maison du poète

Naissance

J'y suis née, il y a de cela bien longtemps, très longtemps, presque à l'aube de mes jours.

J'y suis née tranquillement, sans aucune douleur, dans la douceur d'une nuit d'été. Là, du ventre de la fontaine verte, mes rêves ont éclos et se sont envolés vers la lune, à la rencontre d'autres rêves, mes pensées futures, car, la maison du poète, cette mère si sage, laisse partir ses enfants, où ils le veulent et les reprend, sous son aile, à leur retour.

Les lys blancs

La maison du poète, elle est partout : dans le nuage regardé à l'envers, le nez dans les lys blancs, dans les yeux de la fillette éblouie qui imagine que parmi ces petits moutons filant à l'horizon, une tête de loup menace peut-être le troupeau. Parfois, c'est un visage se transformant, se diluant au gré du vent. Figures étranges et éphémères, sortant d'une imagination déjà fertile.

Les chemins de vie

La maison du poète ne se mesure pas en mètres, en carrés, en cubes, en tuiles, et ses yeux n'ont pas de frontières.

Les rideaux de ses fenêtres sont ouverts sur l'espace, la lumière, le bleu du ciel, sur les orages qui bouleversent son cœur. Elle vous accueille à bras ouverts sur le pas de sa porte, mais garde jalousement son espace et ne laisse rentrer que celui qui lui offre sa patte bien blanche.

Elle court, elle court sur les chemins de vie. Elle vole, elle vole par-dessus les bois, s'arrêtant parfois au creux des mousses, pour y reposer sa plume, caresse le tronc des grands arbres, y croisant parfois, avec enchantement, l'âme des grands poètes qui ont déposés là, leurs rêves ou leurs tourments. Elle s'enroule comme une liane autour de ces géants rugueux, qui l'accueillent pourtant, pour rejoindre, là-haut, tout près du ciel, tous les oiseaux. Elle parle à la rivière qui longe le bois, sa grande complice, qui connaît et entraîne tant d'histoires avec elle. Elle rejoint les grands cygnes, qui glissent, si majestueux en son sein et caresse leur plumage de neige. Elle côtoie les bernaches, ces oies sauvages du Canada, qui lui donnent des nouvelles de tous les pays du monde...

Et puis, elle s'envole souvent au-dessus des mers, elle aime tant les voyages. Elle ne se lasse jamais de leur immensité. C'est un choc, à chaque fois, devant leur grandeur, leur puissance. Elle se noie dans tous ces bleus qui rejoignent le ciel. Elle plonge au plus profond des gigantesques lames, elle frémit sous leurs mugissements de colère, mais, pourtant, comme les mouettes blanches, rien ne peut atteindre ses ailes si mouvantes, si gracieuses. Elle frôle parfois les barques, coquilles de noix flottant au bon gré des éléments. Elle sourit aux chants des sirènes qui savent si bien bouleverser le marin, qui s'attache parfois à son mât, tant il sait que leur chanson est envoûtante, mais mortelle.

Nostalgie

Lorsqu'elle revient, bien sage, de ses pérégrinations, elle se plaît à rester, en ses rideaux, de longues minutes, à admirer un merveilleux coucher de soleil : rose, bleu, orangé, tourmenté parfois. Jamais le même ciel, mais toujours, le même envoûtement devant ce miracle de nature, les yeux et le sourire béats, scotchés à ces éphémères mais magnifiques couleurs.

Dans le jour qui s'enfuit, elle devient parfois nostalgique. Elle a tant abrité de bonheurs, de tristesses cachées, mais aussi de tourments, qui lui ont égratigné le cœur. Tant de fois, elle a voulu s'en échapper, alors elle se plonge et se replonge dans les chers livres qui peuplent ses pensées. Elle essaie toutes ses plumes : plumes nostalgiques ou plumes délirantes de sourires, de rires, qui éclatent, rebondissent sur ses murs de souffrance, s'en sauvent pour rejoindre un monde virtuel, mais un monde d'amour.

L'amour, le bel amour, tant galvaudé. Cet amour qui foudroie, ronge les cœurs. Amour virtuel, romantique, érotique. Celui platonique, celui non partagé qui déchire ou humilie.

Cet amour, qui pourtant forge le monde dans la douleur.

Amour maternel, fraternel. Amour utopique entre les hommes qui se déchirent, encore et encore : souillure mortelle des guerres.

Elle reçoit du courrier de toute part, la maison du poète. Des centaines de lettres : amours heureuses ou malheureuses, cris de révolte contre la société, mots qui saignent devant la cruauté ou la folie de certains hommes. Amour de la nature qui réconforte, panse les plaies, en mettant au monde les petits enfants. Beautés de cette nature, qui offre tout ce qu'elle a, quand on ne la saccage pas. Lettres d'humour, blagues, elles reçoit tout en vrac, en son sein généreux.

Parfois, elle s'évade un peu vers des terres de solitude aux mille soleils orangés, où elle peut reposer sa plume sur la page vierge. Elle y retrouve le vent, son ami, les sources d'eau si cristalline, les champs de blé parsemés de coquelicots rouge sang ...les lys blancs de son enfance ...

C'est ma maison, moi, qu'elle a façonné à son image : un peu poète, et elle m'emmène souvent avec elle, dans ses fabuleux voyages.

Elle me transporte ailleurs, c'est ma fontaine de vie !