Mots d'elle
Laurent H
Je l'entends qui va et vient dans l'atelier.
Je suis chacun de ses mouvements, un froissement d'étoffe,les pinceaux qu'il essuie, un craquement du plancher.
J'ai allumé une cigarette et je la déguste lentement. Les volutesde fumée s'enroulent, se déroulent et se dissolvent dans la lumière qui pénètre à flots par les baies vitrées.
Je goûte au soleil ardent de ce début d'automne, qui dessine des rectangles de chaleur sur mon ventre. Les yeux fermés, je peux suivre leurs contours brûlants avec mon index. Je m'amuse à porter l'ombre de ma main sur mes jambes,ma poitrine nue. On dirait une aile d'oiseau, prête à fuir par la fenêtre.
Je me suis adossée au paravent chinois qui délimite mon territoire, depuis quelques semaines, dans son atelier.
Son contact est doux contre mes épaules, c'est un paravent de soie, brodé de fleurs, des nénuphars aux couleurs fanées.
Une chinoiserie qu'il a chinée je ne sais où. Elle est à peine assez haute pour me dissimuler lorsque je me dévêts, mais il insiste pour que je me tienne là, pourtant.
Par jeu j'ai étendu ma lourde chevelure sur le paravent de soie; ma crinière de lionne rousse le nargue comme un trophée de chasse.
Ces cheveux qu'il veut toujours voir attachés lorsque je pose, serrés dans un chignon qui s'efface devant la ligne de mon cou et de mes épaules, s'offrent cette fois librement aux rayons du soleil.
Car c'est dans mon dos, moi, que je les aime, ces cheveux, quand ils me caressent, longs, si longs, jusques au creux des reins.
Ce sont des cheveux faits pour être touchés, non pour être peints.
D'ailleurs il n'a jamais réussi à capturer avec son pinceau ces vagues vénitiennes, et c'est décapitée que j'apparais sur ses croquis.
Je me demande ce qu'il fait à présent, je ne l'entends plus.
Je retiens mon souffle pour mieux épier le sien.
Je ne l'entends toujours pas.
Où est-il maintenant?
Peut-être a-t-il remarqué la riviere de cheveux qui s'écoule sur le paravent, peut-être l'observe-t-il ? Entend-il comme moi ce battement sourd qui enfle et emplit ma poitrine?
Il me demande si je suis prête. Je ne réponds pas, il n'insiste pas plus.
Et je sais qu'il ne s'aventurera pas au-delà du paravent. C'est drôle, il connaît mon corps par coeur mais sa pudeur lui interdit de me voir me déshabiller.
Il y a quelque chose d'indécent pour lui dans cette nudité inutile.
Depuis que je pose, son regard a changé. Clinique, froid.
Celui d'un praticien. Mon corps aussi a changé, disséqué en courbes, ombres, volumes et couleurs, il éclate sur les esquisses accrochées aux murs de l'atelier.
Mon corps est son instrument de travail. Tout le reste n'est que bavardage.
Il ne m'appartient plus.
Je ris maintenant de cette jeune fille qui était venue, escortée d'une amie, se présenter ici, suite à l'annonce que Fabio avait fait paraître: "peintre cherche modèle pour nus artistiques". Les fantasmes les plus fous avaient dû lui traverser la tête.
Elle trouva un peintre en blouse vieillotte, et s'en alla, rassurée peut-être, déçue sûrement, car elle ne donna plus de nouvelles, et Fabio dut en désespoir de cause me demander de poser pour lui.
Je lui ai dit oui. Je le regrette aujourd'hui.
Ma cigarette achève de se consumer et je ne sais que faire des cendres.
Il m'appelle de nouveau.
Je ferme les yeux. Je ne dis rien.
Mes cheveux parlent pour moi.
sensuellement beau.
· Il y a plus de 10 ans ·comme une sorte de tango entre le modèle et l'artiste
Blackswan
sensuellement beau. comme un tango entre le modèle et son artiste...
· Il y a plus de 10 ans ·Blackswan
Joli ! Comme dit ChristineJ, c'est rare que ce soit le modèle qui exprime une sensualité et un désir, c'est plus souvent l'inverse.
· Il y a plus de 12 ans ·Edwige Devillebichot
Sobre et simple. J'aime.
· Il y a plus de 12 ans ·Yannick Bériault
J'aime beaucoup ! Je suis modèle et je comprends ! Ce regard clinique qu'ont les peintres, les sculpteurs... mais parfois il vaut mieux ça ! Très bien dépeinte, cette "solitude" dans ces moments-là, bravo !
· Il y a plus de 12 ans ·lubine-marion-ruaud
mais... pourquoi est-ce qu'il n'y a qu'un seul coeur à une pépite comme celle-là ?! C'est sensuel, imagé, artistique, bref sublime ! Et le thème est vraiment bien choisi: J'adore :)
· Il y a plus de 12 ans ·Alice Neixen
Quand on peint le modèle, on lui donne la parole... C'est un dialogue entre lui et moi ! CDC et très belle aquarelle Laurent, empreinte d'ombre et de lumière
· Il y a plus de 12 ans ·nilo
Une nouvelle qui transporte complètement le lecteur! Bravo!
· Il y a plus de 12 ans ·janteloven-stephane-joye
La fin est superbe! Ce texte se lit tranquillement. C'est comme si on y était. Merci Laurent pour ton écriture déliée et fluide telle une chevelure qui se répand sur le corps d'une femme.
· Il y a plus de 12 ans ·aile68
Je me suis laissée emporter .CDC pour ce tableau d'une grande sensualité
· Il y a plus de 12 ans ·corinne-antorel
Très beau, plein de nostalgie et de vie...
· Il y a plus de 12 ans ·cdc pour moi...
lyselotte
tres beau!
· Il y a plus de 12 ans ·Sweety
Délicat, sensuel, envoutant...très joli coup de plume et de pinceau...j'aime
· Il y a plus de 12 ans ·marief
excellent ... tu manies la plume comme un pinceau et ce que tu nous dépeins est admirable de sensibilité... bravo !
· Il y a plus de 12 ans ·woody
Quelle délicatesse, et oui c'est très intelligent de faire parler le modèle
· Il y a plus de 12 ans ·la-vie-en-rose
wahou. j'ai aimé cette histoire pleine de non-dits. j'ai aimé la nonchalance et la sensualité de ce tableau. car le tableau, c'est vous qui le créez. et vous peignez très bien, Laurent.
· Il y a plus de 12 ans ·Karine Géhin
j'aime beaucoup, on laisse souvent l'artiste parler trop peu souvent le modele, c'est vraiment bon
· Il y a plus de 12 ans ·christinej