Plastique irréprochable

Mathieu Jaegert

Atelier d'écriture...sujet large : Les 4 éléments

----------------------------------------------

Elle me fascinait. Des créatures comme elle, je n'en avais pas croisées depuis longtemps. Plastique irréprochable, silhouette et courbes proportionnées. Pourtant, un malaise indéfinissable à ce stade de la rencontre m'envahissait. Un sentiment pénible titillait mon esprit. Ce fameux mélange d'inconnu et de déjà-vu.

Elle, en revanche, m'avait vu venir. Elle m'a très vite apostrophé, sentant l'empathie ancrée en moi. La suite n'a pas tardé. Elle m'a conté sa vie dissolue. Il fallait la sauver des eaux, la sortir de là. Et lui faire oublier les caresses de l'alcool. Je voyais encore leurs vapeurs insidieuses s'inviter dans son regard fragile. Pourtant elle n'avait comme bien d'autres aucune raison de tremper dans ce fléau. Elle n'était pas destinée à s'entourer de brumes éthyliques.

On a fini par parler de tout. Je buvais ses paroles tout en imaginant la meilleure solution à son problème.

Elle voulait changer de vie, tout reprendre à zéro. En tant que spécialiste de la question, je lui ai fait part de deux options. La première consistait à retrouver sa première vie débarrassée des affres qui l'avaient menée devant moi. Ça n'a pas semblé lui plaire. Elle voulait se confronter à d'autres éléments. Le contact de l'eau la répugnait. Elle souhaitait se bâtir un autre avenir, respectueux de la Terre qui l'avait fait naître. Elle cherchait une raison d'être.

Comme elle avait raison ! Cette première solution n'était que partielle. Je lui ai souri. Elle avait été délaissée par ses pairs, soumise au feu des critiques. Il était vital de lui faire prendre conscience que le meilleur était devant. Une nouvelle vie lui tendait les mains. Beaucoup de personnes sauront s'en occuper sans renier ses origines. Ils sublimeront ses émotions et développeront les nôtres. Nous, citoyens, consommateurs, et visiteurs des expositions qu'elle fréquentera prochainement.

Ils lui redonneront des couleurs, un souffle, l'intégrant à un cycle valorisant ses qualités intrinsèques. Elle changerait d’air et de catégorie, elle, la bouteille plastique, passant du statut de déchet banal, à celui de muse évocatrice, transfigurant l'ordinaire, réhabilitée par des plasticiens ou encore des sculpteurs.

Ces chercheurs de l'or durable qui dort dans l'ordure...

Elle échapperait ainsi au feu de l'incinérateur, source inépuisable d'énergie certes, mais qui effacerait ses souvenirs les plus chers, pour connaître, comme le verre, un recyclage sans revers.

Entre les mains habiles de ces artistes talentueux, elle redécouvrirait des postures, des attitudes, des humeurs mêlées d'un parfum oublié ou d'un rire enfoui, qu'elle offrirait aux regards de tous ceux qui l'avaient destinée un peu trop vite au néant anxiogène.

Le projet l'enthousiasmait. Elle m'a déclaré en partant qu'elle en toucherait quelques mots aux autres éléments de la famille des emballages, le verre, les métaux et les cartons.

Elle m'a lancé rieuse : "Personne ne pourra plus me traiter de déchet alors ?"

Je l'ai regardée s'éloigner et j'ai compris soudain l’origine de cette gêne imperceptible. Elle s’était allégée, amincie sur l'idée d'industriels soucieux d'économiser la matière.

Signaler ce texte