Zion, le marchand de marron

Il a un nom qui pétille et mets des sourires dans les yeux. Un nom à sortir de la bouche d'un monsieur Loyal, car c'est un drôle d'artiste, un drôle de zouave.

Zion, il fait rire les passants et peur, très peur parfois, aux petits enfants. Mais ça c'est juste les premières fois.

Parce qu'il n'est pas méchant, juste grand très grand, et sale, un peu.

Et qu'il rit fort très fort, en faisant rouler ses yeux.

Il sent le chou et la cacahuète, mais se parfume chaque matin à la rosée des violettes. Et sur sa tête trône en fête, une chapka rouge et verte qui domine une drôle de veste, toute pleine de poches, de trous, et de taches d'huile et de peinture.

Parfois il y fourrage de ses mains habillées de mitaines tout en demandant silence d'un ongle noir posé impérialement sur sa bouche, pour sortir de sa seule poche vaillante une souris blanche à la queue rose.

Elle s'appelle Mistinguett, la moustachue aux yeux vifs qu'il niche sur son épaule en grattant son petit bidon gras comme un lardon.

Comme lui c'est une drôle d'artiste, une drôle de zouave, qui fait des claquettes du haut jusqu'au bas de son bras, museau en l'air et cha-cha-cha ne l'aura pas !

Ils arrivent en ville chaque premier décembre, dans un rouilli-rouilla de métal froid qui fait grincer les dents des trottoirs, et soupirer d'agacement les bouches d'égouts.

Zion sue à grosses gouttes de pluie en tirant une étrange chariote toute bringuebalante de zig et de zag qui soulève sur son passage quelques flocons blancs chatouilleurs qui font éternuer les petits nez fragiles des  saules pleureurs.

Il s'installe toujours entre deux gratte-ciels aux sourcils hauts perchés qui saluent son arrivée, en faisant sortir de leur cheminée, de jolis ronds de fumée qui tourbillonnent de politesse et l'applaudissent en claquant les fesses des nuages.

Très vite les pigeons voleurs et les pies voyageuses font circuler la grande nouvelle :

— Il est arrivé, il est arrivé ! Le marchand de marron et de couleurs !

À la nuit tombée, la foule pressée par la rumeur déboule vers son étal dressé de bric et de broc tout berzingue. Une vieille télé lui sert de strapontin et il officie derrière un énorme brasero, dont on murmure que c'est un espagnol au sang chaud, dans lequel couvent quelques braises de sarments qui se tortillent en se consumant.

En voilà de belles poignées de châtaignes et de marrons ! Lancées à la volée sur la grille du feu qui crépite et lance des étincelles farceuses, qui sautillent malicieuses avant de s'envoler vers le ciel en poussière d'étoiles.

La chaleur se répand dans la rue, et slalome dans les avenues, ramenant les passants transis du froid de l'hiver jusqu'à lui, portés par  un courant d'air chaud où flottent quelques notes suaves de cannelle.

Et chacun de lui donner une pièce, et de tendre la main avidement, pour s'emparer de cornets de papiers chiffonnés qui contiennent mille et un délices.

Car croyez-vous que les marrons de Zion, sont des marrons communs, juste des petits marrons de rien ?

Mais non, mais non ! Bien-sûr que non.

Ce sont des marrons marrants qui font des zips et des plocs quand on y croque, des marrons farceurs et rieurs qui n'ont jamais le même goût.

Un arôme puissant de raisin pimenté de sève de pin, se mêle en bouche, à quelques zestes de mandarine et de marjolaine. Parfois même on y décèle un goût de caramel ou encore de pain d'épice à la réglisse.

Et croyez-vous que Zion, soit simplement un petit marchand de marrons, de marrons communs, de petits marrons de rien ?Mais, mais non ! Approchez, approchez et regardez d'un peu plus près.

Il met du rose rieur sur les joues, du bleu heureux au fond des yeux, du jaune doré dans les pensées et un soupçon de rouge amour pour rafistoler les cœurs brisés. Il étale du vert printemps sur les murs de la ville, et lance à la lune quelques éclats d'automne flamboyant pour que la nuit s'illumine de violet rêveur. Les cœurs se font si légers, que soudain la ville décolle vers le ciel le temps d'une nuit, et l'ont raconte même que certains en profitent pour cueillir des étoiles.

Ce n'est pas qu'un petit marchand de marron, mais non ! C'est un marchand de vie, un marchand de couleur.

Et quand il voit ainsi, la foule joyeuse et ravie, il pleure des larmes de bonheur arc-en-ciel que vient essuyer entre deux claquettes, la petite Mistinguett.

Alors, il sort son accordéon et fredonne une petite chanson, qui raconte l'histoire d'un marchand de marron qui était un drôle d'artiste, un drôle de zouave, qui rendait les gens heureux.