Aux innocentes la bouche pleine.

junon

Le salon a des allures de boudoir de marquise indécente. Semé de touches de couleurs comme autant d'éclats de rire, il échappe au grand soleil de cet après-midi de printemps par la grâce de ses rideaux  tirés sur le monde trop bruyant. Seul un luminaire aux formes arrondies englobe dans une bulle de lumière tamisée un canapé tendu d'incarnat et ceux qui s'y sont lovés.

Une petite bouche charnue s'entrouvre avec hésitation, se referme, s'ouvre de nouveau, puis un peu plus encore. Les lèvres tremblantes, déjà gourmandes et impatientes, luisent de salive.

 Orchestré par les battements syncopés du cœur, un mouvement a saisi le corps tout entier, mélange d'envie insatisfaite et du besoin féroce de combler une faim dévorante. Les mains se tendent à leur tour, incapables de rester en place, désireuse de saisir à pleine paume, de pétrir, de triturer, de s'approprier immédiatement l'objet du désir.

La raison s'interpose: " pas maintenant, pas encore... pas trop tôt, pas trop vite... Profite de cet instant avant de succomber, avant de satisfaire ton désir, de saisir à pleine bouche, et de t'emplir de cette douceur à en mourir... "

Un mouvement de recul, uniquement dû à la volonté de différer encore, tend le buste vers l'arrière. Les seins moelleux tremblent dans leurs nids de satin brodé, soulevés par un soupir inaudible qui s'échappe à présent lentement de la bouche presque close. Attendre pour mieux jouir, résister encore un peu à la tentation, extrême volupté parcourant tout le corps en longs frissons, révélée à l'instant même par la turgescence des mamelons érigés.

Pointes de pur désir marquant la fine laine du cardigan en mohair d'une affolante ponctuation.

Le corps s'est figé, étiré dans l'éternité d'un instant en suspens. Ne reste dans le visage immobile que le scintillement des yeux à l'eau claire agitée de courants contraires. Des yeux qui n'en perdent pas une miette, détaillant avidement l'objet de toute cette convoitise, imaginant le goût indécent de suavité que les papilles réclament maintenant à grands cris silencieux.  

Inexorablement, les lèvres s'amollissent, la langue avide de lécher pointe entre les dents ,savoure par avance le contact tiède et tendre, la première résistance sous la bouche curieuse et jamais lassée. Le corps s'incline vers l'avant et s'abandonne, rend les armes, comme en prière. Les mains se referment en calice sur la tiédeur tentatrice, caressantes et fermes, amoureuses déjà, négligeant préliminaires et fioritures, pressées et impatientes de s'approprier la tendre gourmandise. La saveur tant espérée envahit enfin les muqueuses, entêtante et délicieuse.

Les dents se risquent à croquer légèrement, titillant la chair délicate maintenant révélée par les passes voluptueuses de la langue, jouant avec elle. Résister, ne pas mordre plus avant, presser contre le palais plutôt, encore, et encore, téter délicatement, jusqu'à  faire suinter un peu du capiteux nectar au fond de la gorge...

Mais voilà que cette fois, la bouche s'affole, s'emballe, elle n'en peut plus de prolonger l'attente. Il faut se satisfaire maintenant, jouir enfin et laisser place à l'assouvissement.  Les mains scandent le mouvement. Seule compte la volupté de l'instant, et l'excitation toujours plus intense que trahissent les petits soupirs de contentement qui filtrent entre deux respirations suspendues.

Un long tremblement de plaisir... S'emplir la bouche et la gorge, puis avaler. Avaler encore et encore, toute pensée annihilée, ne laisser place qu'à la langueur indécente de la chair comblée...

Lorsqu'elle relève enfin la tête, le miroir lui renvoie son regard, le sourire lumineux qui étire voluptueusement ses lèvres barbouillées de chantilly. Une dernière bouchée, un éclat de dents blanches et cannibales, et voilà disparue l'ultime fraise, encore posée dans son écrin de pâte à choux. Elle porte enfin à sa bouche ses doigts maculés de crème et achève son sensuel festin en les suçant un à un, délicatement, longuement, jouissant sans entraves de la douceur absolue du moment présent.

Dérangé dans sa sieste, le chat baille et s'étire.

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