Coup de foudre chez Starbucks

hermane

7h12. J'arrive à la Gare de Lyon pour prendre le train de 7h57. J'ai couru entre les dédales de Châtelet pensant que j'allais arriver en retard. Et finalement, je suis à l'heure. Même pas pile à l'heure, bien à l'heure. S'il y a bien une chose que je déteste, c'est être à l'heure. Je ne sais jamais comment occuper mon temps entre mon arrivée à la gare et le moment où le panneau lumineux abrègera mon calvaire en m'annonçant quelle sera ma voie.

J'ai donc une petite demi-heure à tuer.

1ère option : flâner au  Relay pour voir les derniers conseils beauté avant les vacances dans Be ou les potins qui font croustiller les pages de Closer. Bien entendu, le Relay is closed  comme le dit la pancarte qui achève de me saper le moral.

7h29.

Tout en cherchant vainement une seconde solution à mon équation matinale, je m'amuse à monter et à descendre le tapis roulant qui mène aux quais. Ça m'amuse 5 minutes. 7h34.

Puis c'est là qu'apparaît ma seconde option. Comme une oasis dans un désert, comme une bouée de sauvetage au milieu de l'océan, se dresse, magnanime, Le Starbucks. Je me félicite en me disant que là, j'avais fait fort. J'avais trouvé le moyen d'occuper mon temps en un rien de temps – 7 minutes. Je me faufile dans la queue. 7h42. 

Mon tour arrive enfin lorsque je sens mon cœur bondir dans ma poitrine.

« Bonjour, vous désirez ? »

 « … »

« Une boisson ? Ou une viennoiserie, Mademoiselle ? »

« Euh… Est-ce-que je peux avoir un Chocolat Viennois Signature… s'il-vous-plaît ? »

« Bien sûr. Tall ? Grande ? Venti ? »

« Euh.. Je ne sais pas… C'est quoi la différence ? Tall, c'est grand, c'est ça ?

J'essaie de faire durer ce moment, même si je sais parfaitement ce qui différencie les trois formats.

« Alors non, le Tall, c'est la plus petite taille. Ce n'est pas très logique, c'est vrai, vous avez raison de poser la question…. Pour le Grande… »

Il continue à jouer le jeu des 7 différences pendant que je me répète sa phrase. C'est bien la première fois qu'on me dit que j'ai raison. 

« Alors, qu'est-ce que vous préférez ? »

« Eh bien… Je vais prendre le moyen  s'il-vous-plaît. »

« Très bien. Votre prénom ? »

Mon Dieu. Il m'a demandé mon prénom.

« Ophélie. O-P-H-E-L-I-E. Comme Ophélie Winter. »

J'épelle le plus distinctement possible les lettres de mon prénom, au cas où. Je ne sais pas, au cas où il essaierait de me retrouver. Je m'apprête à lui fournir également mon nom de famille lorsqu'il me dit. :

« Un muffin pour accompagner votre Viennois ? »

Là aussi. J'anticipe. Je dois faire extrêmement attention à ce que je réponds. Si je lui dis oui, je vais passer pour une grosse. Si je dis non, je paie et au revoir, on n'en parle plus. Non, ça ne peut pas se terminer comme ça. Je fais semblant de contempler la vitrine tout en me livrant à ces intenses réflexions pendant que dernière moi, des soupirs et des « tin » d'impatience s'élèvent en crescendo. Je me retourne, il y a bien six personnes qui attendent elles aussi, leur Frappucino ou leur Moka. Je décide de me ressaisir et lui lance, tout sourire :

« Non, merci. Ce sera suffisant.  Je fais attention à ma ligne. »

Il me sourit. Je fonds comme chantilly sur Viennois signature caramel. Je sens que la prochaine phrase sera décisive.

« 5,50 s'il vous plaît. »

« … Ah oui, par carte s'il vous plaît. »

« Merci Mademoiselle. Votre boisson sera prête dans 2 minutes. J'espère que votre train n'est pas tout de suite. »

Qu'est-ce qu'il veut dire par là ?

Je regarde ma montre en lui disant : « J'ai encore 5 minutes... » Puis je risque un  « Pourquoi ? »

Là aussi, mon cœur bat à 1 milliard à l'heure. Peut-être qu'il veut me voir après son service en tête à tête. Je suis pendue à ses lèvres.

« Parce que mon collègue est parti chercher du lait. Mais il ne devrait pas tarder, ne vous inquiétez pas. Je vous laisse attendre votre boisson à l'autre bout du comptoir. Bonne dégustation et bon voyage ! Bonjour Madame, vous désirez ? Boisson chaude, Muffin ? »

Et bien voilà, c'est tout. Ça s'arrête là. Il en est déjà à écrire le nom de cette pimbêche sur son gobelet. Je fulmine lorsqu'on me tire brutalement de ma rêverie. 

« Ophélie ? »

« Oui ! » dis-je pleine d'espoir, pensant qu'il s'agissait de mon Jules.

Un autre barista me tend mon Viennois Signature.  « Et voici. Bonne dégustation ! »

Je reste ainsi 10 secondes, ma boisson brûlante en main. Immobile.

« Le train 1457 à destination de Lyon Part-Dieu partira – voie 2. »

Mon train ! Je l'avais complètement oublié celui-là. 07h52. Déjà ? J'ai passé presque 10 minutes au Starbucks ! C'est passé si vite pourtant.

La voie 2 n'attend plus que moi. Et pourtant, je n'arrive pas à bouger. Mes jambes sont comme fixées au sol. Je ne peux pas partir. L'homme de ma vie est derrière ce comptoir, je le sais, c'est lui. Lamour avec un grand L. On m'a toujours dit que le vendredi n'était pas jour où le destin acceptait d'être contrarié. Que puis-je faire ? Annuler mes vacances ? Tout quitter ? Lui demander de jeter son tablier vert et de partir tout de suite avec moi ?

7h55. Je continue à le regarder pendant qu'il attrape un cheesecake et un cookie dans la vitrine.

« Vous êtes gourmande » l'entends-je dire à la cliente. « C'est bien ! »

Eh zut. J'aurai dû prendre 3 croissants et 5 muffins. Je le savais.

L'heure tourne.

Le cœur gros et la gorge serrée, je me dirige vers la voie 2. Autour de moi, le temps s'est arrêté. Tandis que certains courent avec leurs bagages et que d'autres tournent et retournent indéfiniment leur billet dans la machine de compostage en jurant, je monte lentement dans le train en me disant que je le regretterai peut-être toute ma vie. Il y a des moments dans la vie où tu sais que de ton choix dépendra tout le reste.

Je m'installe à mon siège, la mort dans l'âme. Je n'ai jamais été aussi malheureuse.

Je sens les larmes me monter lorsque soudain, une lueur d'espoir me traverse l'esprit. Mais oui ! J'ai son nom ! Il était écrit sur son joli tablier ! Je peux le retrouver ! Avec Facebook, ce sera simple comme bonjour. Ni une ni deux, je me connecte avec ma 4G et tape ses nom et prénom. Aurélien Ménagier…Non… Ce n'est pas lui... Aurélien Manoger… Non… Aurélie Monéger… Encore moins. Introuvable. Bon, ce n'est pas grave. Ça arrive que les gens n'aient pas Facebook. Je n'en avais jamais rencontré jusque-là mais je sens que ce garçon est spécial, alors ça ne m'étonne pas tant que ça. Il doit au moins avoir Snapshat. Tout le monde a Snapshat, à commencer par ceux qui n'ont pas Facebook. Non... Non... Pas lui... Toujours pas. 

Instagram ? Non plus.

Tinder, à tous les coups ! Je suis sûre que lui aussi, il recherche l'amour. J'ai un moment d'hésitation. J'appelle mon meilleur ami pour lui demander de chercher sur son GrindR le nom de l'homme de ma vie. Au cas où. Il décroche en me disant qu'il espère que j'ai une bonne raison de le réveiller de si bon matin.

Tu n'imagines même pas à quel point.

Je lui explique en 2 minutes la situation. Il me dit qu'il me rappelle. 2 minutes plus tard, je reçois sa réponse : Non. Ton Aurélien n'est pas gay.

Alléluia.

Essayons Twitter. Rebelote. La recherche m'oriente vers @AurélienM_98, @Aurél_Méger, @Marc_Auréle90… Toujours pas de traces de mon Jules.

Mais c'est dingue ça ! Ce garçon n'est nulle part ! Où peut-il bien se cacher ?

Je ne perds pas espoir pour autant. C'est écrit, je sais que je finirai par le retrouver, cet Aurélien Manager !

 

 

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