KALACHNIKOV BOY
Guillaume
Sur la photo, tu poses fièrement sur un tas de gravas dans les banlieues déglinguées de Mogadiscio, torse et pieds nus, sourire en travers du visage, AK 47 en bandoulière. Derrière toi, une carcasse de pick-up japonais se consume. Tes dents sont si blanches et ton regard sans peur. Tu as douze ans et tes copains t’appellent Abdul. Abdul est un enfant soldat.
Un matin, ils sont arrivés au village. Tu es sorti pour regarder le quatre quatre cabossé chargé de tous ces types en lunettes de soleil. Quelques mots de l’homme en treillis et ton père t’a fait signe de venir. Déjà, la voiture roulait sur la piste au bout du village, effrayant les troupeaux de zébus et arrosant d’un vent sale les vieux immobiles le long d’un mur. Tu avais onze ans, c’était il y a un siècle.
Dans une ancienne caserne gouvernementale, des gamins de ton âge par dizaines et en guise de chefs, des grands frères de quatorze ans, mitraillettes à deux cents dollars pointées vers le ciel. Un gros homme est apparu à la fenêtre du premier étage, entouré d’autres képis. Son uniforme kaki était colonisé de décorations qu’un ancien dignitaire soviétique avait dû lui vendre au kilo. Il a parlé de foi, de liberté, tu n’as pas tout compris.
Deux jours ont passé et tu as découvert la grande ville, Mogadiscio: des faubourgs en guenille à perte de vue, noyés sous la poussière et les détritus. Les voitures ont stoppé au milieu des masures éventrées. Des blocs de béton coiffés de barbelés parsemaient la rue. Au-delà, le chef a expliqué que les chiens à la solde de l’Occident contrôlaient la ville.
Le lendemain matin, tu as fumé pour la première fois, et bu aussi. Tu t’es senti invincible, comme un soldat de jeu vidéo avec ses vies à crédit. La meute a traversé la rue ennemie. Courant sur les toits, d’autres gamins faisaient cracher leurs mitraillettes. Les plus grands maniaient les lance-roquettes, hurlant de rire, fumée aux lèvres. De retour, bredouilles, trois âmes du village manquaient à l’appel. D’autres, charriées par les pick-up hors d’âge, bientôt sont venues les remplacer.
Les mois ont passé. Un soir, la rue est tombée, puis la suivante et tout le quartier. Tu avais onze ans et demi et les nouveaux te regardaient comme un héro, toi le survivant. Les chefs te tapaient dans le dos, glissant dans ta poche assez de rêve à fumer pour te faire croire en ton destin.
Sur le petit monticule de terre fraîche, on a posé la photo. Abdul a reçu une rafale de Kalachnikov d’un de ses copains de guerre, il ne sait plus pourquoi il a pressé sur la gâchette et ça n’a plus d’importance. Abdul avait douze ans depuis deux mois.
Au village où tu n’es jamais revenu, ton père dit que tu es parti pour une ville d’Europe, très loin, là où les enfants vont à l’école. Un jour, la guerre a pris fin. Les gros hommes en uniformes et belles voitures allemandes se sont partagé le festin. Ils ont renvoyé les survivants au village, le plus vieux avait seize ans.
C'est prenant et tellement réaliste.
· Il y a environ 12 ans ·Francesca Calvias
Malheureusement réaliste...
· Il y a presque 13 ans ·lobley
Bouleversant ! Rien à ajouter !
· Il y a presque 13 ans ·theoreme
J'ai beaucoup aimé cette façon d'ecrire toutes ces guerres. Quel talent, je le voyais ce jeune Abdul...
· Il y a presque 13 ans ·zinkannie
Difficile de devenir vieux dans un univers dicté par les armes à feu. Un texte criant de vérité, qui nous amène à relativiser nos petits malheurs quotidiens de consommateurs empâtés.
· Il y a presque 13 ans ·Chris Toffans
triste réalité de la guerre bien vu, mais que peut-on attendre de ce monde à cheval sur le virtuel et le cruel, voir des enfants tuer, assassiner sur l'écran d'une plaies station entraine l'atrocité sans la conscience des conséquences,on cache la mort aux mômes mais on leur file des armes dans les mains, ils n'ont plus de joujoux main en jouent ou en joue.....feu!!!
· Il y a presque 13 ans ·franek
Tristement réaliste...
· Il y a presque 13 ans ·corinne-antorel
Un texte-reportage au cœur de l'horreur, superbement écrit, pudique et violent à la fois... du très bel ouvrage Guillaume! Coup de ♥ sans aucun problème...
· Il y a presque 13 ans ·Elsa Saint Hilaire
Tout est dit...Bravo, Guillaume !!!
· Il y a presque 13 ans ·Pascal Germanaud
C'est dur mais c'est la triste réalité. Le texte est très bien écrit, j'ai adoré.
· Il y a presque 13 ans ·Fabien Dumaitre
Je suis d'accord, très beau texte, bravo ! ça serre la gorge !
· Il y a presque 13 ans ·almodovaro
Merci, Yvette Dujardin, pour rectifier ma bêtise... J'ai confondu avec Addis Abeba.
· Il y a presque 13 ans ·En même temps, la Somalie est voisine de l'Éthiopie, j'étais donc pas si loin... (Elle se voit, ma mauvaise foi, là ?)
swoo
Woo, Mogadiscio est en Somalie!Texte excellent, partout dans le monde des enfants sont exploités,mais savez vous que les turcs se sont imposés en Somalie et que des drapeaux turcs flottent dans la capitale où ils ont une Ambassade. Les turcs ont envoyés par dizaines des entreprises et des ONG; La communauté internationale à échouée et la Turquie, avec son "Islam touch", pensent réussir. Mogadiscio est une tête de pont, alors Ankara arrive en force sur le continent noir.
· Il y a presque 13 ans ·Yvette Dujardin
Lu.
· Il y a presque 13 ans ·Que fait-on vivre aux enfants de la Terre !
carmen-p
C'est une chose lamentable que de voir des gosses armés,alors qu'ils devraient être à l'école ! Drôle de vie !
· Il y a presque 13 ans ·Tahar Yettou
Destins tragiques d'un réel bien réel...
· Il y a presque 13 ans ·Marion Ploix
Excellent texte. On ne peut que dénoncer ces enfants enrôlés de force ! Au Congo des personnes tentent de leurs rendre une vie stable !
· Il y a presque 13 ans ·nilo
cdc! une pensée pour ces enfants qui sont dressés par les guerres des anciens!!
· Il y a presque 13 ans ·l'animelle
lanimelle
C'est excellent, bravo!
· Il y a presque 13 ans ·janteloven-stephane-joye
Je trouve que l'histoire racontée est extrêmement riche car elle ne se contente pas de montrer la vision occidentale du phénomène, à savoir que les enfants-soldats sont tristes et maltraités ; mais montre aussi que, et je suis près à croire que c'est vrai, la manipulation est telle que certains (pas tous, cependant, j'imagine) s'éclatent avec toute cette destruction, dont ils ne perçoivent sans doute pas encore l'effrayante et irrémédiable réalité. Cela montre mieux l'entière complexité du problème.
· Il y a presque 13 ans ·Mais ce qui m'étonne encore plus, c'est à quel point vos descriptions peuvent sonner vrai. Elles sont quasi cinématographiques alors pourtant qu'elles ne sont que pure littérature ! On s'y croirait et pourtant, j'ai du mal à penser que vous êtes vraiment allé en Éthiopie (si ma géo ne se trompe pas). Je pense qu'on reconnaît vraiment là, la faculté des bons écrivains à faire voyager le lecteur, la destination fût-elle heureuse ou non.
5 étoiles votées pour cette merveille.
swoo
la guerre n’est toujours pas finie... j'ai vécu dans la zone il y a longtemps...
· Il y a presque 13 ans ·Pawel Reklewski
Hum...un monde aberrant où les conflits qui dépassent tout entendement emmènent dans leur sillage des enfants qui n'ont rien à faire là et qui ne devraient pas vivre dans un monde où tant de violence gagne davantage de terrain :( Rien de tout ça ne devrait exister...hélas...
· Il y a presque 13 ans ·oserlesmots