Marcel

                Depuis sa tendre enfance Marcel est fâché avec le savon.  C'était le temps des petites pataugeoires en zinc  à écume de potasse,  laissées l'été  sur  herbe moussue, du soleil levant jusqu'à l'heure  rituelle du bain délicieux auréolé de bulles de savon et de  champêtres fragrances. La lavande alentour dominait toutes les autres se mêlant avec volupté à celle du gros savon gris de Marseille qui fondait  pour  mieux se ramollir dans l'eau douce du bain.

                Marcel, lui, détestait ces ablutions ludiques enfantines. Ainé d'une famille nombreuse, il zappait la plongée, laissant ses frères et sœurs à leurs éclaboussures. Ni vu, ni connu !

Parfois quand une odeur fauve schlinguait plus que d'ordinaire,  s'attachant tenace et insupportable à ses vêtements et à sa peau au point d'infester l'entière maisonnée, la voix paternelle montait d'un ton.

 Alors, Marcel passait inévitablement à la casserole, plutôt  à la douche froide de la vieille pomme d'arrosoir que lui déversait son pater, tandis que  la mère  l'étrillait au crin de brosse à récurer.

 Tout môme il n'attachait aucune importance  à ces bienfaits hygiéniques  corporels, s'imprégnant  à souhait du fumet naturel, de sa sueur sauvage. Ils étaient son repaire identitaire, si révulsant qu'ils faisaient fuir tous les copains et les mouches à la ronde.  C'est qu'il  aimait ça notre Marcel ! C'était un solitaire crade né d'une forêt profonde où il adorait batifoler  et patauger comme un sanglier dans sa bauge boueuse. Petit, sa mère le retrouvait souvent lové dans la niche du chien ou lapant  en doublon sa gamelle.

                Un personnage de sauvageon  qui se dessinait déjà à l'heure des jeux de gosses naïfs, préférant ceux du braconnage. Il était un bouseux qui embrassait la terre et son chien, ses uniques amours !

                Les années passaient et l'incurable Marcel grandissait toujours sans savon et, à l'adolescence  les relans hormonaux  se mêlant aux  habituelles moufettes, se faisaient âcres, pestilentiels ; ça  fouettait du bec, boucanait, schtignait sans retenue ! Berk !!!! Criaient en chœur ses  frères et sœurs ! Et chacun de se pincer le nez pour ne pas sombrer comme les mouches ! Au grand désespoir de la mère qui elle, abusait des onguents sans parcimonie sans doute pour exorciser l'insupportable puanteur !

                Mais, un beau jour Marcel tomba en amour devant une beauté grecque. Bien-sûr son look et sa moufette caractéristiques repoussa la belle qui s'enfuît au galop.  Au fil du temps, il en repoussa bien d'autres et ne comprit pas pourquoi.

                Or, un matin d'avril, il rencontra Elise, une bergère terrienne au grand cœur qui avait cette même passion des campagnes profondes et  le désamour du savon.  Aujourd'hui Marcel et Elise en fouettements  amoureux vivent reclus en Forêt Noire. Ils ont fait sept enfants boucanés aux mottes de leur terroir et tous allergiques au savon de Marseille.