Le Chemin de traverse (extrait)

Colette Bonnet Seigue

Amélie après un terrible accident est dans le coma. Son esprit en mal de large s'évade encore sur son chemin de traverse. Elle y retrouve le mirage et sa vie ... 

 

Dehors, une soudaine bourrasque gifla les vitres de la chambre. Le bruit de l’averse couvrit un instant celui des pulsations. Marguerite inquiète, jeta un coup d’œil sur la courbe de surveillance. Amélie respirait toujours régulièrement, ce qui rassura sa mère qui ferma ses yeux lourds de fatigue. Elle s’endormit.

            Chemin de pierre, aux traces usées de pas de givre ! Chemin de terre, nourri de sang ! Artère de vie pour un aller-retour… 

 

            Dans sa bulle, Amélie poursuivait son chemin qui se faisait plus sinueux, moins accessible avec ses méandres à flanc de précipices. Par bravade, elle défiait la vie moqueuse, pour en vérifier la mesure. Ce qui lui restait de vie était là, suspendu à un fil de soie sibyllin! Ce corps muré à la terre tentaculaire ! Mais son esprit impatient, toujours en quête d’absolu avait envie de prendre ses marques cosmiques, avaler tous les kilomètres de ce chemin à peine emprunté. Qui avait-il au bout de ce tunnel accueillant ?  Etait-ce ce magicien de mirage ?

- Viens, je vais te guider !

 

- C’est toi, le mirage ?

 

- Tu l’as dit, c’est bien moi ! Si tu me suis, je pourrais te faire partager les plus belles promenades ! Viens donc ! Suis- moi, sois sans crainte !

 

- Comment pourrais-je te faire confiance, toi qui n’es qu’illusion ! Tu m’as bien dit que tu étais un peu trompeur ?

 

- Mais je sais aussi être magnanime !

 

- Magnanime ?

 

-Tout simplement généreux !

 

- Comment peut-on être généreux quand on est pas vrai ! T'es pas sincère ! Je préfère la sincérité à tous tes artifices ! Passe-ton chemin !

 

- Je suis à l’instant sur ta route ! Regarde en bas, que vois-tu ?

 

- Je vois mon corps inerte enchaîné à cette maudite machine ! Matière charnelle, lourde, incontrôlable ! Je vois ma mère désemparée, je ne peux même pas la toucher ! Mais tu es là, partout, pour m’empêcher de revenir et tu me parles d’autres promenades ! Va-t-en, je vais m’en sortir toute seule !

 

- Bon vent ! hurla le mirage en ricanant. Dans le tunnel son rire sarcastique avait un écho d’outre-tombe. Un halo lumineux auréolait la trace du chemin comme pour l’obliger à le suivre. Elle n’y résista pas. C’était si éblouissant, qu’elle en ferma les yeux. Une voix de sirène sortit de la lumière.

- A qui appartient cette jolie voix ? demanda Amélie avec curiosité.

 - C’est moi ta vie, tu ne me reconnais pas ?

 

- Comment veux-tu que je te reconnaisse, tu es si misérable aujourd’hui ! Tu m’as un peu abandonnée n’est- ce pas ?

 

- Puisque tu me le demandais dans ta lettre, j’ai voulu te donner un signe !

 

- Comment peux-tu parler de signe, alors que je suis moribonde ! Tu ne vois pas que tu me files entre les doigts ! Tu ne vois pas que j’ai besoin de faire surface alors que tu es fébrile ! Regarde, tu ne tiens plus qu’à un fil, comment pourrais tu m’aider ! Autrefois tu étais si active, un peu trop même,  regarde où j’en suis ! Tout ça à cause de ce fichu temps perdu à tes souvenirs, à ton passé qui défilait à m’en faire perdre la tête ! Hélas, c’est arrivé et c’est là le drame ! Te voilà suspendue à ce petit fil de ma cervelle prêt à se rompre à la moindre défaillance !

 

- Mais, en dépit de cette fragilité toute provisoire, je suis grande pour toi, car tu as l’âme remplie de force, cette force que tu as reçue de moi parce je te veux solide. Comme tu me l’as écrit, ma générosité à ton égard n’a pas de frontière. Pour toi, je déplacerais la terre ! Pour ton amour, je me ferais de château afin de te couronner !   

- Alors, fais- toi renaissance ! Regarde, ce corps inerte, qui dérive sans toi !

- Je dirais comme ta nuit : C’est une question de confiance ! 

 

- Que faut-il faire ?

 

- Savoir attendre ! Si tu sais attendre, je me ferais nouvelle pour ton équilibre. Auparavant, avec toi, j’ai souvent rêvé. Rêver, c’est bien, ça permet d’occulter les angoisses. Mais il faut un juste milieu. Trop rêver, ce n’est pas bon pour l’efficacité ! Ne demande pas à un conducteur de train et aux aiguilleurs du ciel de s’évader, avec tous ses wagons d’Hommes qu’ils ont sur leurs épaules ! Tu as besoin de respirer m’écrivais- tu ! " Le monde bouge trop vite ". Comme je te comprends ! Respirer c’est faire entrer en soi toutes ces lumières, tous ces regards oubliés ! Je suis dans tous les regards ! Mais j’ai un faible pour les oubliés ! Ils sont en quête d’amour et ça, c’est précieux. C’est précieux pour toi, pour nous deux, ils nous enrichissent. L’amour est parfois si vagabond qu’il nous file entre le cœur si on n’y prend garde.

 

 - Oui, c’est bien ce que je pense. Mon père a ce regard là ! C’est pourquoi, je m’y noie souvent ! Son amour est si absorbant quand ça va mal, que je peux rester des heures à le respirer ! A présent je sais que tu me comprends. Je t’ai retrouvée, mais dans quel état ! Mon corps n’est que machine ! Pauvre machine qui respire à travers ses tubes tentaculaires ! Il faut faire quelque chose ! Ca ne tient qu’à toi, tu le sais bien ! Tu es trop aimante pour te défiler. Reviens ma vie, reviens donc remuer mon cerveau pour lui offrir ta quintessence ! Il faut que tu renaisses dans ses neurones, dans leurs plus intimes rouages pour faire circuler l’amour en trop plein ! Tu vois, ça se bouscule là, dans ma tête qui déborde de cet effluve ! Un débordement d’amour c’est peut-être risqué pour le cœur, mais, pas pour toi ma vie ! Je te hurle mon envie de faire route ensemble ! Mais aucun son ne sort de ma bouche endormie, repue de mots si lourds à en faire noyer à jamais la parole.

Le tunnel se faisait cotonneux. Dans le dédoublement, le corps s’alourdissait, l’esprit de plus en plus ivre flottait vers des couches cosmiques plus lointaines, intemporelles. Amélie regardait la vie d’en bas s’enfoncer doucement, sans appréhension. C’était comme une impression d’inexistence, ni agréable, ni désagréable. Seulement un sentiment d’envol à l’image de ces oiseaux migrateurs qui planent pour reprendre souffle. C’était aussi l’appel irrésistible de ces ondes mystérieuses vers l’immatériel infini. Sans résistance, ce corps lui échappait, tandis qu’inévitablement, d’une envoûtante persuasion, une force irréelle l’extirpait de la couche terrestre. Mais de ce céleste aveuglement, s’émanait une lueur jouissive. Ce halo de plénitude occultait la chose inerte gisante sur la prairie blanche de la chambre. Cosmonaute en mal de stratosphère, libre de scaphandre pour l’ivresse de l’apesanteur !

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