Lolita

lilii

 Chère Lolita,

Tu ne comprendras très certainement pas l'utilité de cette lettre de papier et de surcroît manuscrite à la plume, dans ce monde détourné à "l'hyper-numérique" mais au moins, elle ne fera qu'affirmer ce que je pense. Je ne supporte plus de recevoir tes messages-textes qui me font bondir toutes les deux minutes et que je mets trente ans à déchiffrer. Tes « Quand est-ce qu'on se voit ? » recyclés en 7 lettres, tes « Où es-tu ? » intrusifs, balancés sans espace et sans ponctuation. J'ai beau changer régulièrement de sonnerie, opter pour des mélodies plus suaves, ton acharnement à faire hurler mon téléphone portable m'aura toujours épaté.

Chacun de tes mots a une jambe de bois ou s'est pris une lettre de trop dans le ventre. Tu usais déjà de ta littérature estropiée lorsqu'on s'est rencontrés à cette fameuse fête, A peine un « salut » étranglé sur mon écran et une question directe, « Cash » comme tu dis. Oui, j'étais célibataire à ce moment là. C'est ce que je t'ai répondu en toutes lettres. Scrabble.

Tu n'as même pas pris la peine de me répondre. C'est à ce moment-là que j'ai reçu le deuxième visage universel souriant après la Vache qui rit : une petite face d'œuf joyeuse complètement immonde. Le smiley est le mot-valise du futur. Il ouvre la bouche et tu peux enfourner tous les synonymes de gaieté et de sourire ainsi que tous les mots que tu as au bout de la langue. J'en ai donc déduit que tu étais contente ou... jaune.

Parce que oui, Lolita, pourquoi s'encombrer de fioritures ? Hein ? Je n'ai jamais compris comment il était possible d'aimer à tel point les choses superficielles, et de s'enticher que du sommaire de la vie ? Au début, j'adorais cette rupture avec laquelle tu voyais les choses : blanc ou noir, petit ou grand. Jamais d'entre-deux avec toi, jamais de demi-teinte. J'aimais même tes textos illisibles et tes fautes d'orthographes scandaleuses. Tu m'as touché par ta médiocrité. Aujourd'hui, tu m'as coulé.

 Je vois déjà ta réaction en lisant cette lettre, tu murmureras un  » LOL » parce que tu ne sauras pas quoi dire. Le mot pratique, dont personne ne comprend le véritable sens mais qui passe partout. LOL sur tes lèvres et ton teint prendra des reflets jaunes d'amour blessé, mon poussin…

 Evidemment, tu auras compris que je faisais allusion aux petits surnoms que, particulièrement, tu revendiquais devant mes copains. Parce que même si tu ne sais pas écrire, Dieu sait à quel point tu as de  l'imagination : « Mon petit punk, mon cochonnet, ma tarte aux cœurs, mon lapin sucré » et ton «  Je t'aime » coincé entre un petit LOL et un MDR, j'en ai la nausée. Message non reçu. En deux ans de relation, jamais tu as su écrire « je t'aime » correctement. L'amour était tronqué, boiteux et insipide dans tes mots. A croire que tu ne savais pas m'aimer.

  Quant à moi, tu me reprochais mon manque de romantisme. Certes, je suis un peu maladroit sur le sujet mais je n'allais tout de même pas débarquer chez toi, les cheveux gominés et une rose dans la bouche pour te faire comprendre que tu comptais pour moi ? Tu ne voulais rien entendre. Aujourd'hui je suis à bout. Tu peux me submerger de larmes électroniques, d'œufs au plat avec des états d'âmes, la bouche en biais, peu m'importe. Je te l'écris de la manière la plus simple possible : LIS DES LIVRES, LOLITA. Il ne te manque plus que ça. Tu es jolie avec ta fleur dans les cheveux mais dès que tu ouvres la bouche, c'est un véritable attentat à la littérature, un massacre du langage, un génocide alphabétique. Mon téléphone est une fosse commune de tes textos et mon cœur commence à faire quelques fautes de liaison.

Je suis désolé Lolita. ( LOL )

               Bises petit œuf.

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