Ma maison
Colette Bonnet Seigue
Ma maison
Je pousserais le lourd portail rafraîchi entouré de vieux murs. Déjà, une odeur de pot au feu réapprivoiserait mes narines. Le tilleul de la cour serait un peu plus ridé. La maison aurait fait toilette : volets gris-frais, pierres grattées, disparu le lierre étouffant des jours peureux.
J’ouvrirais la porte d’entrée, rien n’aurait bougé : Le vieux porte-manteau rajeuni de petits anoraks, bonnets et écharpes. Même la vieille glace sur la commode fatiguée aurait changé de reflets. On entendrait s’égayer des voix enfantines impatientes et gourmandes. Ce serait l’heure d’un dîner d’été. J’emprunterais le couloir noir ébène en appuyant machinalement sur le bouton de droite. La faible lumière raviverait un peu les vieux rideaux fatigués.
J’ouvrirais grand la porte de la cuisine, et m’assoirais face au couvert à fleurs rouges qui m’attendrait. Ma place, la même, où transpire encore la suée de mes viscères, de mes haut le cœur quotidiens. D’un rituel familier, ma mère servirait d’abord copieusement mon frère et ma sœur affamés, tandis que mon assiette serait moins pleine. Le repas de la fratrie s’avalerait en deux bouchées, le mien se ferait répulsif, éternel. Ma mère lasse me délivrerait de ce supplice en jetant incognito les trois quart de mon assiette loin du regard de mon père.
Enfin, légère et libre, je me précipiterais dans la pièce à côté, ma chambre, mon refuge pour retrouver son odeur et celui des livres. Toujours là mes livres, pas vieillis, encore neufs sur la bibliothèque blanche. En fermant les volets, je fermerais aussi mes yeux pour ne pas perdre un bout de jour naissant, tandis que mon frère dormirait à côté. Je retrouverais le rai de lumière de mes aubes douces où je m’installais dans l’embrasure de la fenêtre. Je sentirais le parfum des mots de mes lectures aux heures interdites.
Puis, je caresserais l’enveloppe de soie rose de mon lit et je m’y vautrerais. Je m’endormirais confiante dans ma maison-berceau. Il n’y aurait jamais, jamais plus de passage.
Mais, hélas, aujourd’hui, un drapeau tricolore flotte sur son porche. Ma maison, c’est celle du peuple, elle s’appelle : Mairie
Je connais ce texte...magnifique qui sent bon l'os à moelle et le chabrot d'autrefois....avec toi et un Saint-Julien sans hésiter j'arrive!!!
· Il y a presque 12 ans ·Frédéric Cogno
qu'elle est douce cette maison-berceau ... !
· Il y a plus de 12 ans ·woody
Emouvant Colette...
· Il y a plus de 12 ans ·j'ai aussi une maison comme ça et des souvenirs qui débordent de mes poches ...
marcco
C'est le nid...quoi de plus important. Merci Colette
· Il y a presque 13 ans ·enki
merci Colette, je ne l'avais pas loupé mais c'est si beau que je savais quoi dire
· Il y a presque 13 ans ·franek
Les souvenirs restent notre maison pour toujours...tout comme les rêves ils nous habitent et font partie de nous avec la puissance inégalée des espérances, bienheureuses errances de nos âmes tortueuses...
· Il y a presque 13 ans ·nonada
J'ai déménagé 4 fois sur ces quatre dernières années... c'est décidé, ma maison je la porte avec moi. Pas de regrets, juste des passages aimés...la maison de mes grands-parents peut-être ferait l'exception à ma nouvelle règle!
· Il y a presque 13 ans ·ysabelle
Rien n'a disparu, votre plume concrétise l'immortalité de la vigueur de vos souvenirs comme celle de votre sensibilité née en vous, tel un trèfle à quatre feuilles. Tendresse
· Il y a presque 13 ans ·dimir-na
Bravo!
· Il y a presque 13 ans ·Nostalgie quand tu nous tiens! Belle prose au bord des lèvres au bord du coeur...
Orkidé.
orkide
Chère Colette, j'ai ressenti au plus profond de mon être cette nostalgie, ces marques d'affections et d'afflictions pour un lieu auquel nous sommes liés. Quelle émotion en vous lisant !
· Il y a presque 13 ans ·valjean
J'ai aussi perdu ma maison, mais dans d'autres conditions! Bravo, pour ce souvenir d'enfance!
· Il y a presque 13 ans ·Yvette Dujardin
La maison berceau...le pays où l'on se sent en sécurité...le lieu où l'on peut couver et développer nos talents, nos passions !
· Il y a presque 13 ans ·Soupirs...
Reste à préserver cet espace en soi !
carmen-p
Très touchant cette maison-enfant !
· Il y a presque 13 ans ·helecrit
C'est très émouvant, la "maison berceau" bouleverse, j'en ai une aussi avec des "étrangers" dedans qui ne savent rien du "parfum des mots" de mes livres d'antan ! C'est une petite merveille ce texte !
· Il y a presque 13 ans ·theoreme
J'aime beaucoup celui-là. Il porte de l'intime, du sensuel, du vécu, heureux et douloureux. Le tout se mélange avec délice.
· Il y a presque 13 ans ·Christophe Dessaux
Touchant, attachant...je voudrais bien la même; sans drapeau !-)
· Il y a presque 13 ans ·Pascal Germanaud
Une pensée pour tous ceux et celles qui ont été expulsés de chez eux et ont tout perdu de par le monde, leur toit, leurs champs, leur bétail, leurs tombes, au gré de guerres et de luttes assassines.
· Il y a presque 13 ans ·Même si le sujet de ton texte n'était pas celui-là, il m'a tout de suite fait réagir en ce sens.
Elsa Saint Hilaire
Bravo ! Oui, même avec sa part de difficultés, ce berceau de l'enfance et sa sécurité parfois on en a la nostalgie...
· Il y a presque 13 ans ·Edwige Devillebichot
Nostalgie quand tu nous tiens...
· Il y a presque 13 ans ·jb0
je ne peux lire celui-là...pardon Colette. J'ai aussi un tilleul et un texte de "la maison" dans mes petites chemises. Je vais laisser passer décembre et je reviendrai le lire.
· Il y a presque 13 ans ·Je reviendrai..."après la neige". Je sais que tu me comprendras ...et je sais aussi que je l'aimerai quand le printemps sera plus près.
Bien à toi.Sally
sally-helliot