Ongles rouges sur nuit noire (Manon & Raphaël - 4)
Alice Neixen
03:46 :
Manon a les ongles peints en rouge au centre, comme des lèvres de jeune fille chinoise.
Elle dort enroulée dans le drap, nue, la tête sur les doigts, et ses boucles brunes s'éparpillent partout. Elle respire doucement, et ses seins se soulèvent. D'où je suis, elle a l'air d'une poupée fragile, et moi je suis là, comme un con paumé, à la regarder, assis par terre et dos au mur. Au sens propre et au figuré. Je suis souvent con dans cette histoire, sûrement trop. Je devrais éteindre ma cigarette, laisser ce verre de Zubrowska à moitié vide que je ne cesse de boire et de remplir à l'infini, en attendant que quelque chose se passe sans savoir quoi, et la rejoindre. La prendre contre moi, respirer ses cheveux, caresser sa peau, au lieu de me torturer l'esprit avec de vieux démons. De trouver des excuses à ma lâcheté. De faire la liste de toutes les peurs et les fausses raisons qui justifieraient peut-être que je parte. Mais ça fait des heures que je me dis ça et je n'ai toujours pas bougé.
04:52 :
Et je voudrais faire quoi ? Attendre qu'elle se réveille ? Dire à Manon que je la quitte, comme ça, sans raison, sans excuse ? Lui balancer l'idée, emmêlée et blottie comme elle est dans le sommeil ? Une onde de choc dans ses yeux verts, le temps qu'elle encaisse. Elle pensera que je fais une blague, vraiment mauvaise la blague, vu qu'en plus elle n'en est pas une. Je serais donc un pauvre mec jusqu'au bout ?
04:58 :
Quitter Manon, ça ressemblerait à quoi ? Ma vie sans elle. Sans son odeur, sans son sourire. Pourquoi j'ai besoin de répondre à cette question à la con à 5h du mat ? C'est juste pour le côté mélodramatique, je vais me prendre pour Roméo bientôt ! Je ricane de mes conneries, un peu trop fort et Manon se retourne. L'espace d'une seconde, j'ai la respiration coupée nette, les idées brouillées, et si elle se réveille ? Et si ça changeait tout ? Dans l'état où je suis, je m'en fiche, je pourrais tout lui dire, ça changerait tout, c'est obligé...
05:21 :
Manon ne s'est pas réveillée et moi je ne peux pas être égoïste, en plus du reste. La garder contre moi, c'est prendre le risque, terrible, de vivre l'instant où je ne pourrais plus rien faire d'autre que de tout gâcher. De la perdre pour de bon. Et je n'en suis pas capable. Elle resterait, si je lui disais ça. Elle resterait, quoi que je dise. Elle aurait même de la force pour deux, et je m'arrimerais au port de son coeur, mais est-ce que je resterais, moi ?
6:01 :
J'ai sursauté. Son réveil vient de sonner, elle se retourne, l'éteint du bout des doigts, et me cherche dans le lit avec ses mains puis avec ses yeux. Elle me voit, et aussitôt son regard change, s'interroge, mais elle ne dit rien. A moitié allongé sur la moquette de sa chambre, les yeux rouges et vitreux, fixes, avec la bouteille vide et le cendrier plein, je dois vraiment pas être terrible à voir. Elle va avoir peur ? Peut-être... Merde, je ne voudrais pas aller jusque là quand même... Mais non, elle sourit, doucement, comme une ultime tentative pour enrayer ce qui la dépasse. Cette fille a une classe indescriptible, ça me fout une claque à chaque fois.
Pourtant le sentiment, terrible, que quelque chose ne va pas grandit dans son regard.
J'aurai pu faire compliqué, plus long, la manipuler davantage, tricher, protéger. M'en sortir un peu mieux. Mais non, les seuls mots que je réussis à lui dire, avec toujours cette même voix chantante et un brin trop douce sont :
- Je te quitte, Manon.
Le sourire sur sa bouche de poupée chinoise s'effondre, et avant de pouvoir apercevoir autre chose, je passe la porte et la claque derrière moi.
T'as été lâche jusqu'au bout, Raphaël, dit sa voix dans ma tête.
La toute première partie fait très japonais (j'adore!).
· Il y a plus de 11 ans ·alcestelechat
Un beau récit, un coup de coeur !
· Il y a environ 12 ans ·feline
Oui, je pensais aussi à Tom en lisant ce récit...la même puissance évocatrice qui déferle et nous laisse meurtris et heureux que cela ne nous arrive pas...
· Il y a plus de 12 ans ·J'aime la fragilité de Manon, je le vois...et l'éclatement de sa douleur comme un vase de cristal qui explose...
cdc
lyselotte
J'aime le ton froid de ce texte qui est très bien écrit. J'imagine le claquement sec des touches d'une machine à écrire.
· Il y a plus de 12 ans ·aile68
tu as raison en disant que Tom nous arrache souvent les tripes ... mais c'est pareil pour toi... c'est tellement bien vu et bien écrit ... douloureusement !
· Il y a plus de 12 ans ·woody
Alice, te lire s'apparente parfois à une torture.
· Il y a plus de 12 ans ·Torture à cause du fond qui me glace le sang juste avant de le faire bouillir de colère au plus profond de moi.
Torture à cause de la forme car chaque ligne me fait réaliser que je n'arriverai jamais à écrire aussi bien que toi.
Mais cette torture est tellement bonne que je l'appelle. Encore.
Coup de cœur évident.
wen
J'ai souvenir avoir aimé le premier épisode et puis je suis restée un peu loin de wlw. Je viens de rattraper le retard, et je confirme ma première impression, cette histoire est " particulièrement assez vraiment " superbe et émouvante. Ben oui! Moi je suis dans l'émotion. Peu m'importe l'attitude des gens, pour moi c'est l'émotion qui a pris le dessus.
· Il y a plus de 12 ans ·Dans un de mes texte, (c'est ma fille, je suis sa mère), vous m'aviez recommandé le livre de Katherine Pancol (j'étais là avant). Je voulais vous dire que je l'ai lu, et je vous remercie de votre conseil. Il m'a vraiment ému aussi. Décidément je dois être un peu "nunuche" ce soir. :)))
Donc, merci pour tout.
divagations-solitaires
Il y a des ruptures glauques, d'autres plus raffinées, celle-ci, très bien écrite, nous fait vivre la nuit fatidique d'un homme hésitant, mais tout de même déterminé, direct, un mufle quoi!. L'annonce est brutale, un drôle de réveil pour Manon!!!
· Il y a plus de 12 ans ·Colette Bonnet Seigue
Pawel, tu crois qu'on peut la remplacer ou qu'un ménage ne doit jamais être composé de plus de 2 entités ?...
· Il y a plus de 12 ans ·la vodka pour oublier la supériorité de sa femme et surtout ne pas la rejoindre... pendant qu'elle dort il reste toujours deux entités, l'un entêté et l'autre ... enfin les deux roulent par terre ... l'un bourré l'autre vidée... Et quand madame se réveille elle prend la bouteille et frappe avec l'entité creuse qu'est le crâne du bêta...
Pawel Reklewski
Il a eu toute la nuit pour ça. Et toute une bouteille pour être sûr. Et des dizaines de clopes brulées l'une derrière l'autre... Et des milliers d'images et une seule question.
· Il y a plus de 12 ans ·Il a eu toute la nuit pour ça, pour être sûr quelle pouvait dormir sans qu'il soit allongé près d'elle.
Il sait désormais qu'elle peut dormir seule, qu'elle peut dormir sans lui... Qu'elle peut dormir.
Frédéric Clément
toujours aussi bien écrit et décrit. bravo Alice!
· Il y a plus de 12 ans ·Karine Géhin
Etre lâche jusqu'au bout relève peut-être d'une certaine forme de courage... ceci dit sans chercher d'excuses à Raphaël.
· Il y a plus de 12 ans ·Johann Christoph Schneider
Belle histoire moderne qui situe bien les coeurs névrosés de... hélas... bp... d'humanoïdes... !
· Il y a plus de 12 ans ·Apolline
Sweety, si je peux joindre les deux, ça décuple le plaisir de l'écrire :) Merci de ta fidélité infaillible !
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu, heureusement, sinon on aurait déjà tous un aller simple pour l'enfer !
Joëlle, je suis ravie de découvrir une nouvelle amie, bienvenue, et je m'en vais de ce pas découvrir vos écrits!
Omicron, Raphaël est sûrement un peu moins pire dans la vie, mais s'il était plat, qu'y aurait-il à dire de lui ? Donc forcément je suis touchée qu'il vous déplaise :)
Pawel, tu crois qu'on peut la remplacer ou qu'un ménage ne doit jamais être composé de plus de 2 entités ?
Alice Neixen
Sweety, si je peux joindre les deux, ça décuple le plaisir de l'écrire :) Merci de ta fidélité infaillible !
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu, heureusement, sinon on aurait déjà tous un aller simple pour l'enfer !
Joëlle, je suis ravie de découvrir une nouvelle amie, bienvenue, et je m'en vais de ce pas découvrir vos écrits!
Omicron, Raphaël est sûrement un peu moins pire dans la vie, mais s'il était plat, qu'y aurait-il à dire de lui ? Donc forcément je suis touchée qu'il vous déplaise :)
Pawel, tu crois qu'on peut la remplacer ou qu'un ménage ne doit jamais être composé de plus de 2 entités ?
Alice Neixen
la vodka n'est pas bonne pour le ménage à trois...
· Il y a plus de 12 ans ·Pawel Reklewski
Oui, Raphaël est un lâche, un goujat, et j'en ferais certainement pas mon copain dans la vie :-)
· Il y a plus de 12 ans ·Cela pour dire que votre écriture sait rendre quelqu'un déplaisant.
Bravo.
Christophe Dessaux
J'ai remonté le fil depuis le début, en prenant mon temps, car voilà une écriture qu'on n'a pas envie de survoler. Bonjour, nouvelle amie wlw. Et coup de coeur.
· Il y a plus de 12 ans ·Joëlle Pétillot
Il n'y a aucun mal à vouloir écrire, quel que soit le devenir de ces écrits...
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu Jaegert
on écrit d abord pour soi, non ?
· Il y a plus de 12 ans ·Mais c est un immense plaisir de te lire , donc je ne sais pas comment tu fais mais tu décris si bien des émotions des sentiments que j ai ressenti les angoisses et questions de Raphael...bon ben tu vois je suis super accro !!
Sweety
Publier après Tom devrait être un handicap WLW ;) Tu crois qu'on peut murmurer comme ça dans la tête des gens qu'on aime ? Je me demandais à l'instant si j'aimais écrire cette histoire pour les éventuels lecteurs ou pour moi, y'aurait-il un mal à ce que j'aime cette histoire au point de vouloir l'écrire ? Dans tous les cas, je ne suis pas très objective, et j'aime l'avis des gens, qu'ils aiment moins, pareil ou plus !
· Il y a plus de 12 ans ·Alice Neixen
Le coup de coeur est moins furtif que le précédent. Cette fois-ci j'avais le temps de lire. Et d'apprécier. Et une sorte de petite voix familière murmure dans ma tête...
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu Jaegert