Dis, t'as fait ça comment ?

rafistoleuse

Je voudrais oublier, tu sais. M'oublier. Je voudrais savoir ce que c'est d'être l'enveloppe sans la lettre. Et tout réécrire avec les crayons de couleurs que tu m'as filé en douce, sans que je comprennes tout de suite. C'est ça qu't'es, un magicien. Mais dans ma trousse, y a trop d'encre qui a coulé, tu vois ça a fait des tâches. J'aurai dû écrire au crayon à papier, pour pouvoir effacer, et puis souffler sur les épluchures de gomme. Fallait y penser avant. Dans ma trousse c'était tout dégueulasse. Mais t'avais mis les crayons dans une poche secrète de mon sac. Je l'avais vidé une fois, avec toi, je me rappelle que t'avais tout bien détaillé, comme si c'était toi qui devait ranger. Comme si t'étais là rien que pour ça. Me ranger.

Je sais pas pourquoi je pense à ça maintenant. Pourquoi je fais ça ? Pourquoi est-ce que je m'en vais, toute seule. Pourquoi j'ai des envies de vie qui se termine, alors que toi, eux, nous, on est tous là à boire des arc-en-ciels auréolés de sucre, dont on sent pas les degrés au palais. J'sais pas mais c'est comme ça. Un instant plus tôt, je te criais au creux de l'oreille, que j'étais drôlement bien. Et la minute d'après, c'est le grand vide, le grand vertige. Du haut de mon muret, j'ai les pieds qui effleurent même pas les coraux. Et j'entends les vagues, je les vois aussi, ça fait une éternité qu'elles n'ont pas léché mes pieds. Pis, de toute façon, mes pieds, c'est moche. Mais c'est sans doute moins moche que le regard que j'ai sur mon propre reflet.J'ai envie de sauter mais c'est haut et ça tourne. Et les musique, les voix, nos voix, ça fait des boucles dans ma tête. Qui a déjà des boucles mais moins parfaites.

Toi, tu t'inquiètes, je le sais. Tu t'inquiètes en silence, t'essaies de percer mon regard, t'essaies de voir si ça déconne pas trop dans ma tête. Et je te dis que ça va, parce que ça va, quand tu me le demandes, ça va. Rien que parce que tu me le demande, d'un coup, ça va plutôt merveilleusement bien.

On fume, on boit. La musique à fond. Au fond là-bas y a un groupe qui reprend des chansons du tonnerre pour en faire des platitudes sans nom. Ca nous fait bien rigoler, je prendrai bien le micro pour gueuler. Toi, eux, nous, on vacille sur nos chaises mal calées sur les pavés. Les reflets verts sur le palmier le rendent plastique, comme la table. J'ai comme des papillons dans les épaules, et le dos, un peu, les jambes aussi. Ca fait tout drôle comme sensation. Comme si je ressentais le vide, et le plein en même temps.

Souvent j'ai des idées sombres, qui font sursauter mes sourires. Mais ce soir, pourtant, la vie est belle. La vie est belle beaucoup de soirs, beaucoup de jours, depuis que t'es là. Des milliers de presque rien qui font un truc solide, un truc beau, ouais.

Dis, t'as fait ça comment, pour les crayons ? 

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