Mauvaise herbe. [Défi N°13 / club "Jetez L'Encre"]

rafistoleuse

Texte écrit dans le cadre du Forum Jetez L'encre : http://jetez.l.encre.xoo.it/index.php - Le défi était d'écrire à partir de cette musique : http://www.youtube.com/watch?v=CVSQnsorqjY

Je pousse le petit portail craquelé-rouillé.  Ca grince toujours, et puis les herbes ont poussé, les mauvaises. J’avance lentement, pour ne pas me prendre les pieds, c’est tout silence ici maintenant. Je m’installe sur la balancelle, qui couine, elle aussi. Y a le soleil qui se couche tout brûlant dans des draps sombres. C’est le moment idéal pour te retrouver. Je quitte ma balançoire, et ouvre la maison. Le parquet tremble un peu sous mes pas, je me rappelle mes courses-poursuites après toi, pour du chocolat. Rien n’a bougé depuis des années, à une exception près. La poussière accumulée me prend un peu à la gorge mais je reste imperturbable, quand à la mission que je me suis donnée. Je branche la petite chaîne hifi, et insère notre CD. Les baffes grésillent un peu, l’harmonie n’en est que plus parfaite. J’allume des bougies tout autour du tapis. Tu vas bientôt me rejoindre, j’espère que tu ne te feras pas trop attendre. Tu sais que je n’aime pas beaucoup ça. Le vent qui s’engouffre dans pièce fait trépigner les petites flammes. Je me déchausse et me met à l’aise. Je veux que ce moment soit spécial. Je sors une petite boîte, le trésor de tes échappées. Pour une fois j’ai envie d’être encore plus proche de toi que je ne l’ai jamais été. Je roule ce petit parchemin, et part à la quête de nos souvenirs. Je m’allonge et aspire des bouffées de ton précieux exutoire. Je m’étrangle en riant. J’observe la nuit se consumer en me demandant si tu me rejoindras vraiment.

Et ça y est, tu es là. Je ne t’ai pas entendu pousser la porte. Tu enlèves ton chapeau fétiche et le pose sur un des accoudoirs du canapé. Tu me souris sans rien prononcer. Je ne dis rien non plus. La musique fait des boucles, toujours, et j’ai le cœur qui fait des bonds, le corps enclume. J’ai du mal à voir tes yeux, t’es tout grand d’ici. Je ferme les yeux une seconde et je te retrouve allongé à mes cotés. Tes doigts me délivrent de mes carcans de tissus. Nos épidermes se frôlent dans une danse apprise par corps. Nous avons le souffle court. Tes mèches de cheveux cotillons me chatouillent les parcelles de peaux que tes mains et ta bouche n’ont pas encore prises d’assaut. Le temps s’élastique et nous nous conjuguons à tous les sens.

La porte claque et je me réveille avec fracas. Pantelante, je me traîne jusqu’à l’extérieur. La pluie fouette mes joues salées. Même les plus beaux voyages ont une fin.  La solitude me fait froid. L’orage  tonne de longues plaintes et ton absence me perfore le cœur si fort que je ne respire que par défaut. Le vide me bouscule.

Rien n’a bougé, à une exception près. Ce tabouret, et le violet sous tes yeux. Ce nœud que t’as laissé à jamais dans ma gorge. J’ignore encore pourquoi tu t’es échappé si loin. J’aurai voulu que tu m’emmènes avec toi.

Je cours. Mes jambes me tiennent à peine. Je voudrai tomber. Je pousse le petit portail, le cœur craquelé-rouillé.

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