ABUS D'IMAGINATION

J’ai quitté Lisa vers dix-huit heures. Je devais encore faire quelques courses avant de rentrer. Gabriel n’était, sans doute, pas encore rentré. J’avais donc tout mon temps. Il faisait encore très froid mais j’aimais regarder la nuit tomber sur Paris tout en marchant. Les odeurs et la population devenaient différentes à cette heure et c’était un vrai régal. Je flânais au gré des pavés que j’enjambais, légère de m’être libérée de tout ce que je savais. Je crus un instant, pourtant, le  percevoir…et le ciel devint alors sombre et menaçant.

D’un coup, la pluie battait son plein. Il se tenait sous un immense porche à l’abri des intempéries. Les gouttes ruisselaient le long des briques devenues poreuses avec le temps. Il fixait de son regard sombre la tempête se refléter comme un miroir sur les pavés du parvis de Notre-Dame qui s’étendait à perte de vue. D’où il était, entre les tourbillons de poussière, il pouvait encore me distinguer. Je m’éloignais bravant la tornade car je ne pouvais plus attendre que les éléments cessent de se déchaîner. Il était là, spectateur de mon histoire comme un voyeur d’outre-tombe qui observait des évènements invisibles des autres. Moi, je me perdais dans le dédale d’obstacles que je ne parvenais plus à éviter au coeur du cyclone. Nos vies s’étalaient au gré des pas comme de la mosaïque éclatée, les débris jalonnant notre route. Mais au coeur de la tourmente, un fil indétectable nous reliait l’un à l’autre. Au-delà des distances et même du temps, il patientait pendant que je ressentais à des lieux de là. Il finit par se décider à poursuivre lui aussi son chemin, sachant qu’au bout du compte, grâce au lien qui nous unissait, je viendrai le rejoindre un jour peut-être.

Après cette brève rencontre dont l’intensité résonnait encore dans mes tempes, je me dirigeai enfin vers la maison. Dans une semi-torpeur, je me mis au volant de ma voiture fonctionnant alors comme un radar jusque dans ma banlieue. Les palpitations s’intensifiaient, la sueur perlait dans mes cheveux devenus humides par cet état de crise. N’en pouvant plus, je m’arrêtai sur un parking désert où la vision de toute la vallée me donnait un sentiment d’espace qui me faisait souvent défaut. Le regard perdu dans ce décor, je sombrai dans une somnolence apaisante. Les yeux mi-clos, je devinais au loin ces formes humaines qui composaient ma vie. Je les imaginais toutes les deux, côte à côte, telles des images majestueuses représentant tout ce que je désirais même si je frissonnais. J’aurais voulu que ces deux entités se confondent et se fondent pour n’en former plus qu’une. Alliance parfaite de la lumière et de l’obscurité; sorte d’idéal complet mais le voulais-je vraiment? Tout cela n’était qu’inaccessible, un non-sens créé de toutes pièces par mon esprit confus alimenté par le flot de mes émotions. A présent, la nuit avait pris possession du paysage, et les lumières au loin indiquaient la croisée des chemins. Pour retrouver mon énergie, je fouillai dans ma boîte à gant pour en sortir un cd qui me réveillerait définitivement. Je poussai le volume à fond et vidai mon âme de tout cet abus d’imagination.