Découverte et redécouverte

Marie Benoit

J’ouvre les yeux doucement. Allongée dans l’herbe vert tendre, je ne me rappelle pas m’être endormie là… Je m’assois doucement et regarde autour de moi. Je pousse un « Oh ! » silencieux et émerveillé. Tout est magique. Magnifique. Je suis sur une plaine, traversée par un fleuve immense, dont les rives sont jonchées de lys blancs. Derrière moi se trouve une forêt de sapin d’un vert profond et saisissant, qui donne sur une chaîne de monts majestueux dont les sommets enneigés contrastent sur le ciel parsemé de couleurs orangées d’un soleil couchant. Devant moi, plus loin, il y la mer et des étendues de sable fin. L’eau a pris une teinte flamboyante, si bien qu’on ne distingue plus l’horizon, ciel et mer se mêlent dans une infinité de couleurs. Non loin se dresse une cité monumentale, construite à flanc de montagne. D’un blanc pur, les pierres scintillent par la lumière de l’astre céleste. Tout ce paysage baigne dans une douce lueur dorée. La vie est là, discrète mais néanmoins présente. Le vent secoue les feuilles des arbres, mêlant ainsi sa douce mélodie à l’écoulement clair et pur de l’eau. Ça et là une multitude de petits animaux courent, insouciants de ce qui les entoure, ils ne craignent aucun danger, si ce n’est l’ordre naturel de la nature. En effet, on ne perçoit aucune pollution sonore humaine. J’ai l’impression d’être la seule à pouvoir profiter de ce moment précieux.

Cependant, alors que je me lève pour parcourir ce monde parfait qui s’offre à moi, je tourne la tête et aperçois une sorte de frontière, au bout de la prairie. Cela m’intrigue et je m’approche, curieuse de voir ce qui se trouve derrière. Arrivée tout près, des frissons me font trembler légèrement. Je n’ose d’abord aller plus loin, mais je ne peux rien distinguer si je ne passe pas cette frontière. Et alors, en ai-je vraiment besoin ? Les limites de l’être humain refont surface, et je ne peux résister à l’irrépressible envie d’explorer encore, toujours assoiffée de savoir et de découvertes. Pour me donner un peu de courage, je ferme les yeux en franchissant cette barrière invisible qui sépare je-ne-sais-quoi. Alors que je suis de l’autre côté, je ressens le changement dès la première seconde. Finies la douce exaltation naïve, la légèreté teintée d’une joie béate et la sensation de bien-être infini. Place à la tristesse écrasante, la douleur qui étreint chaque particule de notre corps et l’horreur accompagnée de dégoût. Là règne la nuit noire. D’ailleurs mes yeux ont besoin d’un temps d’adaptation avant de d’observer cette vision nouvelle. Choc. C’est l’exacte réplique de tout à l’heure, sauf qu’ici, désolation est le maître mot. Aucune lumière, aucune sensation positive. Et surtout ce silence, lourd et oppressant. Aucune trace de vie. Les feuilles ont déserté les arbres, les sources d’eau sont taries, les animaux ont péri. Le souffle de la mort s’étend partout et s’infiltre dans le moindre recoin.

Je ne peux supporter cela plus longtemps et franchis à nouveau la frontière, avant de me laisser gagner par le désespoir qui, sournoisement, commençait à empoisonner mon cœur. Malheureusement, le mal est fait. Le monde où je me suis éveillée ne me paraît plus si pur, si beau, si neuf, si fort, si inébranlable. La connaissance est un poison. Elle enlève la perfection à ce que l’on apprend. C’est pour cela que nous ne pouvons vivre pleinement heureux, car bien ne va pas sans mal, blanc sans noir, bonheur sans tristesse, amour sans haine… Tout positif contient sa part de négatif. Sur ces réflexions je décide de suivre cette barrière entre vie et mort, afin de voir où elle se termine. Je marche, la tête pleine de contradictions, sans plus admirer ce qui m’entoure. Attristée par la nature de l’espèce humaine, qui, par sa soif de savoir, affecte sa véritable vision de la vie et du monde. Qui pervertie la pureté par le rationalisme, la beauté par la science. Le rêve contre le vrai. La foi contre le réel. L’espèce humaine qui ne profite pas de ce qui lui est donné et qui en veut toujours plus. Ce que moi aussi j’ai été. Ce que je suis encore. Alors je marche, jusqu’au bout du bout. Jusqu’à ce que je me rende compte que je suis dans… rien. Et tout.

C’est blanc. C’est noir. C’est rouge, jaune, vert, bleu, rose, violet, marron, orange ! Tout s’entrechoque, tourbillonne dans un entremêlas de couleurs, fusionne, explose, se déchire. C’est le commencement et la fin de la vie, de la mort. Je perds toute notion des choses, le temps n’a plus d’importance, les secondes peuvent être des heures et les jours des minutes. Les heures se confondent. Plus rien n’a de sens ici. Je m’assois en tailleur, mais je ne suis assise dans rien. En fait, je suis vide, je ne sens plus mon corps. Mais en ce… Lieu ? Moment ? Endroit ? Tout matériel est superflu. Toutes les émotions, les sentiments, les besoins, les envies, les désirs…. Cela n’existe plus. Ce qui faisait de moi un être humain s’est arrêté dans le monde derrière. Je suis à présent liée à … ça. Confondue dans le tout et le rien. Mêlée au vide et au plein. Je ne suis plus et pourtant je ne me suis jamais sentie aussi vivante, aussi consciente de ce qui est autour de moi. Rien n’est réel, pourtant tout est là.

Je suis ici au début et à la fin de toute chose. La naissance et la renaissance du monde passé et à venir.

  • Mais pourquoi n'ai-je pas lu avant ? Une belle découverte qui me laisse pensive...et s'il n'y avait pas de mauvais, de moche ou de noir, pourrions nous deviner le bon, le beau ou le blanc ? je m'interroge...merci beaucoup pour ce voyage et cette belle présence.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    zinkannie

  • Que rajouter de plus ?
    Transporter dans un monde haut en couleur, laissant place à une ombre obscure pour mieux percevoir les deux rives, sur une belle écriture.
    Un merci à Patrick De Montoulieu pour cette découverte.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Sonia Lescobert

  • Magnifique ! Un réel voyage

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 0392 orig

    mamzelle-vivi

  • Un voyage au delà du réel qui nous fait rêver Marie. C'est très beau !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Un joli voyage. bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
    Aout 2009

    Violette Ruer

  • Quelle force, quelle puissance dans ce texte où descriptions, pensées qui me touchent, contrastes saisissants se mêlent. Tout y est. Un talent certain.
    L'homme est vraiment l'ennemi de l'homme.Et plus en avance, plus on s'éloigne de la pureté que l'on est en droit de vouloir cotôyer.
    Merci pour ce très beau texte et merci aussi à Patrick De Montoulieu de me l'avoir fait découvrir.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Imagescad4pavx 465

    erovasion

  • merci Patrick pour ce partage, récit en l&vitation entre réalité ressentie et vision de l'au-delà, bien fait bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
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    franek

  • C’est brut, abrupte, le précipice sans fond dans lequel on se jette un matin, que l’on regrette l’après-midi mais que l’on finit par affectionner le soir. Le cycle de la vie !
    Merci de me l’avoir rappelé.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Being angel 300

    jezzabel

  • 103 lectures en 9h... Merci :') Merci aussi pour tous vos jolis commentaires !

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Marie Benoit

  • beau voyage imaginaire...Merci du partage Patrick

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Choupette

  • jolie, Merci Patrick du partage ...

    · Il y a environ 11 ans ·
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    insane

  • J'aime décidément le style de tes textes. Et la note de désenchantement finale n'est pas pour me déplaire !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • Très joli.
    Merci Marie.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avatar

    Helene Bartholin

  • tres joli.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    saki

  • Virtuel ou réel ? T'elle est la question de Marie!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Philippe Larue

  • Un bel imaginaire !!! Merci Patrick pour le partage

    · Il y a environ 11 ans ·
    W

    marielesmots

  • J'ai lu Marie. Une expéditon dans le monde des rêves qui peuvent nous baigner dans des ambiances ou des mondes bien différents.Je ne sais si j'avais partagé sur WLW un texte qui était un peu dans cet esprit (sauf que dans mon cas il y avait foule, foule en souffrance et que je me sortais de ce mouvement). Je vais essayer de le retrouver, un écho.
    Je n'avais pas mis ce texte, Marie. Le voilà :
    http://www.welovewords.com/documents/un-habit-de-chlorophylle
    Je ne le laisserai pas (il est spécial)

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

  • Bravo Marie, et merci Patrick pour la recommandation ;-)
    Il y a quelque chose de Philip José Farmer ( " Le cycle du fleuve " ) dans ce texte.
    Le réveil magnifique et le désenchantement qui s'ensuit...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • Tout a son contraire... très beau ce texte, un peu pessimiste à la fin, il faut vivre les belles choses dans l'instant et si on le peut "arranger les mauvaises" si l'on peut faire quelque chose, quoiqu'il en soit, garder toujours l'espoir!

    · Il y a environ 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • ... et quel merveilleux voyage, plein de mouvements et d'images, même s'il y a un passage dans le noir . La disparition de la lumière ne fait-elle pas rêver à la diversité des couleurs? Bravo,Marie.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Welovewords 002 300

    phine

  • Je ne sais que répondre, si ce n'est merci et heureuse de vous faire voyager !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 1971 92

    Marie Benoit

  • Mais que c'est beau ! Et ce qui rend votre récit si captivant, c'est votre style, si riche, si simple et si fluide. Ce doit être cela le talent, lorsque les premiers mots et la première phrase vous aspirent jusqu'au plus profond du récit. Merci et Bravo.

    · Il y a environ 11 ans ·
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    patrick-montoulieu

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