La terrasse de poche

En refermant la porte de son appartement d’étudiant, Julien se remémorait les années qui venaient de s’écouler.

Il avait sacrément lutté pour arriver à Aix-en-Provence à l’époque. Les places étaient tellement chères pour intégrer l’école qu’il voulait intégrer. Mais il avait été accepté et il avait fallu trouver un appartement rapidement. Ce ne fut qu’après une bonne dizaine de visites dans des studios ou des une-pièce sans le moindre charme qu’il tomba sur cet appartement minuscule. Rue de la treille. L’entrée était située dans une des innombrables rues tortueuses et après avoir avalé les quatre étages d’un escalier quasiment en colimaçon, une porte s’ouvrait difficilement sur un espace décrit comme un appartement deux pièces mais qui n’était concrètement que l’assemblage de plusieurs espaces aussi grands qu’un placard à balais reliés entre eux par un ingénieux et déroutant système d’escalier tournant à plusieurs paliers. Toutefois, à l’un de ses paliers, juste avant celui où l’on arrivait à une « pièce » qui pouvait contenir un lit simple et un pied de lampe qui ne serait pas trop imposant, une porte s’ouvrait vers un endroit où il allait vivre les plus belles heures de sa vie estudiantine.

C’est lorsqu’il ouvrit cette fameuse porte qu’il découvrit l’endroit : une terrasse. Une mini terrasse, une terrasse de poche. De quelques mètres carrés maximum, il y avait juste la place d’y installer un étendoir à linge replié, une chaise normale, une petite table de bar et une jardinière. Si la chaise et la table de bar s’installèrent d’elles-mêmes rapidement, la jardinière mit un peu plus de temps à s’imposer et ce ne fut qu’à la grâce de quelques plants odorants de basilic, de thym et de menthe que Julien fit pousser laborieusement. Il en était très fier. L’étendoir à linge resta à l’état de « projet ultérieur permanent » pour être remplacé par un minuscule parasol de plage acheté quelques euros dans un bazar de Cassis ou de La Ciotat.

Sur cette terrasse, il dévora des cartons de livres.

Il y écrivit des centaines de lettres d’amour et quelques lettres de rupture.

Il y embrassa quelques filles qu’il avait osé ramener chez lui. Il s’y prit quelques gifles aussi.

Sur cette terrasse, il fit l’amour au beau milieu de la nuit. Sous la brûlure du soleil d’été aussi.

Il y versa quelques larmes pour le prix d’un amour enflammé trop vite éteint par le vent d'une jeunesse insouciante.

Les mêmes larmes qu’il sentait vouloir déborder de ses yeux alors qu’il fermait la porte de cet appartement pour la dernière fois. Il devait partir. Il ne lui resterait plus que les souvenirs.

En tournant la clef dans la porte, il réalisa ce qui lui manquera le plus. Il savait que jamais plus il ne retrouverait le bonheur fugace et unique de voir se lever le soleil de Provence sur les toits d’Aix et sur les jardins de son pavillon Vendôme qu’il voyait au loin.

Ce moment unique où le soleil emporte tous les regrets de la nuit lentement mais irrémédiablement. Juste avant de faire naître un nouveau jour, de nouveaux espoirs, de nouveaux horizons.

Ce moment pressé où l’ombre court se mettre à l’abri des rayons du jour et file sur les toits oranges de la ville qui s’éveille.

Ce moment magique où les désirs les plus fous deviennent des résolutions avant que d’être des vérités.

En descendant les marches de l’immeuble, il se souvint qu'à ce moment précis, la ville lui appartenait, le monde était à lui. L’avenir se parait des couleurs chaudes et rassurantes du sud.

Il se promit surtout de ne jamais oublier.

Puis il sourit.

Il ne pourrait pas oublier.

Il ne pourrait jamais oublier.

Julien referma la porte d’entrée le cœur léger, il emportait sa terrasse dans sa poche.