Mise à nue...

Ni gênée ni honteuse, je me présente à eux.

Je me tiens là, debout, placée au beau milieu

d'une douzaine de chevalets,

d’une salle trop chauffée.

Tantôt un lieu préfabriqué,

tantôt un grenier aménagé.

On y sent la peinture et l’encre de chine,

l’acrylique, l’argile et la térébenthine.

Je me tiens là, perchée, laissant à mes pieds choir,

glissant le long de mon corps, le peignoir.

La ronde brève des chevalets commence

autour de moi comme une folle danse,

cherchant la vue la plus jolie,

peut-être un angle plus précis…

Parfois je sais d’avance qu’il me faudra voiler

l’arrivée d’une crampe d’orteils désespérés,

l’attaque de fourmis affamées de ma main,

l’impatiente douleur d’un mouvement contraint.

Ils posent leurs yeux sur moi, sur ma peau,

sur ce qu'eux-seuls savent rendre beau.

Un long regard un peu métrique,

suivi d'un autre plus artistique.

Un peu calculateurs,

un brin inquisiteurs,

ils m'étudient

avec minutie.

Avec joie, mes hanches, ils les arrondissent

et mes fesses, ils les pétrissent.

Avec délectation, ma chair, ils la rayent.

Avec douceur, mes seins, ils les effleurent

juste du bout du doigt,

juste pour estomper, là,

un coup donné trop fort,

en s'excusant à tort.

Certains d’entre eux m’ont élue muse,

et c’est vrai qu’avec eux je m’amuse

à choisir un élan, ou un équilibre

afin que ces artistes se jouent de mes fibres.

Leur pinceau danse sur la toile,

leur fusain éclate en mille étoiles,

leur crayon compte le nombre de têtes

à sculpter, dessiner, peindre, en esthètes.

J’aime leur hésitation et les petits défauts

qu’ils ajoutent à mon corps qui en a déjà trop,

car ils m’aident chaque fois, à tout donner de moi

et à prendre leur art comme profession de foi.

Alors je change de pose et j’immobilise

et mes muscles, et mes os, et je cristallise,

entre deux secondes comme parenthèses,

de précieuses minutes où nos vies s’apaisent.

Il n’y a guère que mon sang,

mon souffle et nos esprits,

pour savoir que je suis

modèle vivant.

Septembre 2013