Pari piéton

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11 juin 2111. Sur le visage d’Augustin, il est 7 h 50. Déréglé, le faisceau de son lumino-réveil tombe sur ses yeux, plutôt que d’éclairer le plafond. Augustin actionne un interrupteur, puis il se renfonce dans son lit. La trappe du plafond s’abaisse, découpant un carré de ciel bleu.

Des moineaux pépient dans le jardin aménagé sur le toit. Augustin s’étire de bonheur : les feux du boulevard Sébastopol se sont coincés au rouge…

Les moineaux s’ébrouent dans la vasque-fontaine, puis ils s’enfuient brusquement. Augustin se renfrogne : les feux sont repassés au vert !

Les véhicules déferlent sur le boulevard, leur passage est scandé par les à-coups des moteurs électriques.

Nous sommes au XXIIe siècle, et les voitures persistent dans Paris. Sur les boulevards uniquement, car les autres voies ont été rendues aux cyclistes et aux piétons. Or, l’immeuble où vit Augustin se trouve à l’angle de la rue Greneta et du boulevard Sébastopol. La rue est un paradis ; le boulevard, un enfer.

Augustin fait partie du conseil d’arrondissement du IIIe. La prochaine assemblée a lieu demain. L’interdiction de la circulation automobile sur le boulevard Sébastopol est à l’ordre du jour. Depuis la Réforme participative de 2083, les décisions doivent se prendre à l’unanimité. Sur les douze membres du conseil, neuf partagent l’avis d’Augustin. Comme lui, ils n’ont jamais passé le permis de conduire. Mais les trois autres…

Crissement de freins, des pneus dérapent sur le boulevard. Augustin se jette hors de son lit et grimpe sur le toit-terrasse par l’escalier de la trappe. Il scrute la chaussée : les voitures redémarrent, l’accident a été évité de peu. Sur les platanes du boulevard, les derniers chatons se fanent. Au conseil, maître Paul tousse à la saison du pollen :

- Le boulevard Sébastopol deviendra piéton quand ses arbres ne seront plus allergènes !

Augustin soupire et se penche vers la rue Greneta. Elle est bordée de poiriers de Chine et fleurie de cascades de fuchsias. Une abeille danse dans l’air, puis se pose sur la terrasse, au pied des thuyas. Les rosiers miniatures embaument dans leurs pots, et les plants de fraisiers commencent à donner des fruits. Augustin se penche pour en cueillir quelques-uns.

Nouveau crissement de freins sur le boulevard. Mademoiselle Clara, du conseil, se déplace toujours en automobile. Elle se sert des pédales comme d’un stepper :

- La voiture électrique est environnementale et tonifiante !

Augustin réfléchit… Il pense avoir trouvé les arguments pour convaincre maître Paul et mademoiselle Clara. Mais il reste le conseiller Epicène, qui s’est toujours opposé à un Paris piéton. En vertu du passé, à préserver pour le futur :

- Il ne faut pas recycler si vite deux cents ans d’automobile dans la capitale !

Heureusement, le conseiller Epicène a un point faible. Il aime parier. S’il perd, il s’incline. Augustin a jusqu’à demain pour y arriver.

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