Demain est éventuel

- Mademoiselle. C'est l'heure de votre traitement.

- J'arrive.

J'ai regardé par la fenêtre, une femme avec de longs cheveux noirs et son parapluie qu'elle tenait un peu bas. Elle regardait fixement devant elle, marchant sans vraiment toucher terre, lévitant quelque part dans son esprit. Elle avait l'air fermé, déterminé, elle n'a même pas pris la peine d'écarter les mèches de cheveux que le vent faisait voler sur son visage. Tout le monde écarte ses cheveux lorsqu'ils deviennent gênant, non ?

Moi, je ne sais pas. Je n'en ai plus. Il devenait gênant aussi, je suppose. Gênant pour la guérison. Gênant pour la maladie. J'ai regardé la jeune fille partir, quelque part, ailleurs. Qui voudrait rester ici de toute manière ? Je l'ai vu s'envoler vers son futur. Elle va probablement faire des projets, grandir, vieillir, construire, changer. Elle peut penser à son avenir, tracer droit devant elle, à l'horizon qu'elle fixe si fort. A bout de regard. Je me demande ce que c'est, que de ne pas avoir l'hypothèse de la fin imminente. D'être libre d'aller et venir sur cette terre, en oubliant la mort, les traitements, et l'hôpital. Avoir de longs cheveux qui gênent mon visage, et regarder devant moi. Comme ce doit être merveilleux.

-Mademoiselle ?

- 5 minutes.

J'ai jeté un autre coup d'œil par la fenêtre, et j'ai vu un couple sortir du bâtiment, heureux et un peu chamboulé. L'homme portait un petit être dans les bras. Tout petit, vulnérable et aimé. Ils sont montés dans la voiture, et ils sont partis. Eux aussi. Trop occupés avec leurs avenir, trop comblés par leur bonheur. Je dois avouer, que je suis jalouse. Mais on a tous le droit d'être un peu jaloux, j'imagine. Surtout les gens comme moi, les mourants. J'ai pensé à cet enfant, et au temps qui lui tend les bras: les choix qu'il aura à faire, les décisions qu'il pourra prendre…C'est ainsi.

Je dois me faire à l'idée que la terre tourne sans ma présence. J'aurais tout donné pour avoir une première chance. Une vraie vie. Une occasion de faire quelque chose de beau. J'ai regardé le monde continuer sa course, à travers la fenêtre. Comme un tableau qui bouge. Comme si j'étais en cage. Qui observe qui ?

Je m'appelle Lucie. Comme le premier Homme. C'est ironique.

MlleAsh_