Drôle de syndrome

Mathieu Jaegert

Une seule ne me suffit pas. Elle et ses complices me font face, rassurantes, et me procurent les frissons de plaisir nécessaires à l'entame. Leur nudité n'est en rien dérangeante, bien au contraire. Elles semblent d'ailleurs s'en accomoder autant que j'ai besoin de les contempler avant de me lancer, comme le skieur plonge son regard gourmand dans la neige vierge de toutes traces.

Pourtant, elles font l'objet quelque peu péjoratif d'un statut contagieux que le milieu veut trop souvent leur attribuer.

J'aimerais redorer leur image car je puise tous les jours dans leur éclat blanc l'énergie et l'envie qui m'animent. Certains y percoivent le vide, un néant angoissant, j'y trouve plutôt la clarté et le reflet nourri de ces flots d'idées tentant leur chance auprès de moi. Le moment viendra bien assez tôt de les mettre en musique. En général, la possibilité de les voir se vêtir trop vite m'inquiète. Noircies anarchiquement, elles apparaissent redoutables car elles sonnent l'heure du tri et de l'organisation. C'est à ce moment que la peur s'empare de mon poignet. La peur d'en laisser quelques unes injustement ou arbitrairement de côté. C'est sans doute pour cela qu'il m'en faut plusieurs. En nombre, elles m'apportent du souffle et une capacité à aérer mon esprit encombré. Elles m'offrent dans un élan altruiste et dépourvu d'arrière-pensées, la facilité d'évacuer le trop plein de pensées bouillonnant en moi. Je peux alors les récompenser de leur fidélité.

Ces feuilles de papier si souvent associées au fameux syndrome de la page blanche, sont à la fois accueillantes et bienveillantes, mais également indispensables. A force de les remplir pour le plaisir, d'y éparpiller quelques mots, je me dois de renouveller leur présence à mes côtés. L'angoisse de manquer de pages blanches me guette souvent.

Mais je ferai en sorte de ne jamais me sentir gêné de devoir les contempler plus longtemps que d'habitude. La pression ne doit venir que de l'afflux aléatoire d'idées, de mots ou de formules, guidé par le plaisir d'écrire, et non pas, ni des prétentions que l'auteur peut exprimer, ni des exigences de personnes extérieures à son propre travail de création.

Signaler ce texte