Filature

Mathieu Jaegert

J'en avais ras la casquette et gros sur le coeur. Pourtant j'ai horreur de cet ustensile, je lui préfère le béret basque. Justement, la mission était claire, je devais coller au Basque, alors que ce type, je le connaissais, il était aussi basque que moi j'étais corse. La consigne était précise. On m'avait demandé de le suivre discrètement, à pied. Le gars avait filé à l'anglaise il y a tout juste dix minutes, quittant précipitamment sa planque. Moi j'avais décidé de le filer à ma façon. Je venais de passer trois heures à faire le pied de grue. Dans le même temps, on m'avait ordonné d'être sur le pied de guerre. Je ne savais donc plus sur quel pied danser. Je pensais à mes plants de pommes de terre. C'était une mauvaise année, ils avaient attrapé la maladie. Peut-être pour cela que j'en avais gros sur la patate.

Le patron savait qu'il pouvait compter sur moi. Il m'avait présenté la mission, cette marche urbaine comme courue d'avance. Il était sûr que je me sentirai comme un poisson dans l'eau. Pour l'instant, je me sentais plutôt comme un poisson d'eau douce aux prises avec les remous d'une mer salée. Là-haut dans les bureaux, ils avaient tous confiance en moi depuis la dernière affaire. On peut dire que j'étais sur mon petit nuage. Je pouvais me permettre de faire la pluie et le beau temps. Le patron m'avait cependant conseillé de veiller au grain. Je ne comprenais pas. Il n'y avait pas un nuage dans le ciel et le bulletin météo de ce matin avait été clair. L'anticyclone protégerait la France pendant au moins deux jours encore. Peu importait, le type était épuisé par sa cavale, il serait donc moins attentif. C'était pourtant une pointure du grand banditisme. Je ne devais pas le quitter d'une semelle mais il était à côté de ses pompes. Un type qui marche à côté de ses chaussures, ça brouille les pistes. Le paradoxe m'agaçait et me mettait des batons dans les roues que je n'avais pas. J'avais choisi de filer doux et de ne pas poser de questions. Je suivais aux traces le suspect aux bas filés et au profil bas. Je gardais la tête sur les épaules, sang froid, ni chaud, ni joie.

Il s'est mis à accélérer progressivement. Je ne pouvais pas croire qu'il avait senti ma présence. On est passés devant l'Auberge de la Mère Baillard et je me suis fait la réflexion que j'étais pas sorti de l'auberge. Cette histoire allait durer. D'ailleurs je n'y suis même pas rentré. Comment croire dans ces conditions que j'allais en sortir ?

Brusquement, surgi de nulle part, un malade hurlant s'est mis sur le chemin du suspect. Le fou, allié de circonstances allait peut-être me tirer une ou deux épingles du pied...

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