Consultation médicale et sémantique

Mathieu Jaegert

-          Docteur, il m’arrive une histoire à deux bouts…

-          A dormir debout vous voulez dire, Michel ?

-          Si vous voulez. Mais elle a deux bouts quand-même !

-          Oui, un début et une fin, logique !

-          Non, elle a deux débuts, je crois, mais elle est sans fin, ou alors je la connais pas ! C’est une sale histoire, docteur. J’ai égaré mes certitudes et je ne trouve plus mes mots. Les « mots sillons » creusent ma douleur. S’il vous plaît, aidez-moi !

-          Vous tombez bien, le visiteur lexical est passé la semaine dernière avec de nouveaux mots. Des propres pour laver vos souffrances, des doux, des communs aux effets hors du commun et des génériques de substitution. Ils remplaceront les formulations classiques que vous perdez peu à peu.

-          Vous savez, ça a commencé par une tristesse insondable. Je n’avais plus le moral.

-          Mieux vaut ne pas l’avoir celui-là !

-          C’est-à-dire ?

-          Le « mot râle » c’est pour les aigris.

-          Oui, mais maintenant, je n’ai plus de mots assez forts pour décrire mes maux. Et je m’inquiète pour un oui ou pour un non !

-          Eh bien ne vous tracassez plus, j’ai en stock des « mots biles » pour les soucieux de votre acabit.

-          Je me complique la vie en m’attachant à couper les cheveux en quatre en toute circonstance.

-          Dans ce cas, je vous prescris des « mots tifs » ! Efficaces, vous verrez !

-          Si seulement ! A force de hurler mon mal être à longueur de journée, seuls des « mots no tone » sortent. En plus, je n’ai plus d’appétit mais j’aimerais tant connaître le « faim mot » de l’histoire.

-          Quelques « mots dalles » au réveil et vous retrouverez une faim en béton.

-          Je savais que je pouvais compter sur vous !

-          Mais il y a une véritable raison, plus profonde, n’est-ce pas ? Un élément déclencheur ? Vous avez évoqué deux débuts…

Laissez-vous aller. Dites-vous qu’ici, il n’y a que des bouts de mots mis bout à bout sans mot tabou.

-          Voilà docteur, j’erre comme une âme en peine depuis que celle que je croyais fidèle m’a éconduit. Aujourd’hui, ma musique est sans saveur, mes textes fades, je ne trouve plus d’idées.

-          J’ai ce qu’il vous faut. Une solution à votre portée. Des « mots d’errant » raisonnables et des « mots des râteaux » pour ratisser plus largement. Je vous prescris également deux semaines de « mots à sons » pour récolter l’inspiration en musique.

Effet immédiat et garanti.

-          Merci docteur, et comptez sur moi, je prendrai au mot vos « mots d’alité » pour me relever.

-          Une fois debout, vous retrouverez la flamme et la légèreté des moineaux olympiques. Faîtes-vous confiance et prenez votre temps. Adaptez votre rythme à l’aide de « mots du lent » bien dosés.

-          A vous écouter, je me sens déjà mieux docteur, mes « mots roses » changent de couleur.

-          On vieillit tous, vous savez, mais on évolue. Fiez-vous à cet adage : « Les mots de l’âge façonnent nos vies » !

-          Vous êtes toujours de bon conseil…et de bons mots !

-          Je vous livre quelques remèdes, à vous maintenant de jouer avec eux pour dénicher la meilleure formule…

-          Il m’en vient une envers cet amour déçu :

« Sans rancœur aucune et sans rancune au cœur ! »

-          C’est un bon début, Michel. Mais dîtes-moi, je ne vous connaissais pas de compagne !

-          Si. Elle aussi se faisait un sang d’encre. Puis elle est devenue prétentieuse. A prendre la grosse tête, son capuchon a fini par exploser. Je dois dégoter une autre plume maintenant. Quinze ans d’écriture commune, tout de même !

-          Je comprends mieux. Tenez alors avant de partir. Je vous laisse une poignée de « mots d’Est » pour l’humilité de la prochaine. Il paraît qu’ils ont fait effet auprès des Mosellans zélés. Des « mots graphie » également, afin de repeupler votre plume en cas de panne sèche ! Et enfin, des « mots niaque » en cure vitaminée de trois semaines. Ils revigoreront vos mots mollassons et vos trémolos. Ils sont redoutables, vous me donnerez votre avis.

-          Une ordonnance de poids !

-          Oui, mais ce ne sont pas des demi-mots, ce sont des mots lettrés !

Et si jamais votre nouvelle plume a un penchant à se coucher sous le poids des mots plutôt que de les coucher sur le papier, on la relèvera doucement à l’aide de mots légers.

Allez, filez, c’est le « mot ment » de vérité !

Soulagé, Michel quitta la pièce et délivra au docteur dans un hoquet de bonheur, le « mot d’hic » montant de la consultation : « Merci » !

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