Le sujet de Maths en avant première

Mathieu Jaegert

A l’approche des examens, mes collègues hésitent, un coin de ciel bleu et de plage venant obscurcir leur imagination. L’été balbutiant à peine ses premières gammes à coups de degrés Celsius hésitants, ils mettent leur sens de la trouvaille au service de leurs vacances plutôt qu’à celui de leur profession. Les grains de sables viennent gripper leurs réflexions au moment de rédiger les sujets des épreuves. Et c’est à chaque fois la même rengaine. Les professeurs de philo se tracassent beaucoup moins, eux, personne ne leur reprochant de jongler systématiquement et à une main - l’autre est occupée à réserver le traditionnel mobile home - entre liberté et bonheur, ou entre passion et raison. Non, mes collègues de mathématiques tergiversent et la tendance prend des allures de coutume. Ils se reposent désormais sur moi, et le rectorat aussi. C’est pourtant si simple de dénicher des sujets intéressants susceptibles d’allonger, entre autres objectifs, la liste des meilleures perles.

Cette année, la coutume orale est devenue règle écrite et le courrier que m’a adressé en ce sens ma hiérarchie parisienne est clair. J’ai donc ouvert à la première page comme chaque matin à la première heure en sortant de la gare, le premier journal gratuit qu’on me tendait. Et j’y ai pioché des informations capitales. L’idée du sujet suivant m’est apparue de manière évidente, vous comprendrez aisément pourquoi. Il va sans dire que l’énoncé mérite de ceux qui le liront en avant-première une mobilisation de toutes leurs capacités de discernement et de discrétion, les épreuves ne débutant que dans quinze jours.

« Sachant que la Mairie de Paris étend largement ses limitations de vitesse, les faisant passer de 50 à 30 ou même 20 km/h sur un tiers des voies de la ville ; sachant également qu’une amende d’un montant de 35 euros a été instaurée pour jet intempestif de mégots sur la chaussée ; considérant que la vitesse des véhicules est ralentie de manière prioritaire aux abords des établissements scolaires, là-même où sont postés des agents municipaux en charge de la circulation, et qu’il est donc plus facile désormais pour ces derniers de dénoncer les malotrus éparpillant au vent leurs clopes usagées ;  vu enfin la pagaille qui a entouré la désignation du candidat UMP à la Mairie de Paris, calculez en utilisant un raisonnement par l’absurde, et dans l’ordre, les paramètres suivants :

Premièrement, la probabilité pour que la municipalité bascule à droite aux prochaines élections, puis le temps approximatif de parcours du candidat vainqueur de son Q.G. de campagne vers l’Hôtel de Ville si son chauffeur respecte strictement les nouvelles limitations le soir du second tour. Pour terminer, vous indiquerez le taux d’abstention à deux points près. Attention, pour ce dernier élément, il y a un piège. Il faut en effet tenir compte de ces abrutis qui ont l’intention de voter, mais qui ne se déplaceront au bureau de vote qu’au dernier moment, pas conscients qu’ils ne peuvent plus rouler à 50 km/h, et qui de ce fait arriveront trop tard. »

Que tout le monde se rassure, les partis dits traditionnels n’auront pas accès à cet énoncé ni aux plus brillantes des réponses. Ils risqueraient de revoir leur stratégie avant même d’entrer en campagne, me contraignant, moi, à revoir mes copies !

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