Ce doute sournois

Mathieu Jaegert

A vouloir faire rimer ton prénom avec exceptionnel, j'ai plongé brusquement mon amour dans l'existenciel, jusque là amorti d'une pirouette et renvoyé de volée vers le ciel.

Je t'observe et ces quelques questions ignorées m'assaillent.

Et si je te perdais ? Et si l'on se perdait ?

Tes mèches bouclées reflètent une incertitude colorée alors que tes yeux semblent définitivement fixés sur le bleu.

Je t'observe et le doute m'envahit. Un doute douloureux, froid et étrange.

Il y a plusieurs façons de te perdre.

Je détourne ma tête pour écrire cette sensation dérangeante.

Toi, tu lèves ton regard sur moi pour t'assurer de ma présence réconfortante. Si tu savais. Mon sourire doit être bancal, mais ça te suffit. Je lis dans tes yeux le passé, le présent, et des futurs.

Te perdre. Cette éventualité ne m'avait jamais effleuré. Et pourtant ces deux mots pourraient se décliner à tous les temps du conditionnel s'inclinant dangereusement vers un présent indicatif. Ils seraient capables de revêtir toutes sortes de circonstances, de causes obscures.

Je m'imprègne de cette mélancolie en suspension et je t'observe. Je te regarde les yeux fermés. Et je te vois. Peu importe donc si je devais m'en aller, je t'emporterais avec moi.

Peu importe, mais je l'écris quand-même. On ne sait jamais.

J'ai rouvert les yeux et je te vois toujours bien sûr.

Tu joues sans te douter de ce qui se passe dans ma tête.

Tu contemples un stylo, émerveillée. Je m'apprête à me lever pour t'expliquer. Tu seras peut-être comme ton père, attirée par l'écriture.

Finalement, non, je reste assis. Tu en feras ce que tu veux de ce stylo. Tu apprendras à l'apprivoiser. Tu as le temps, et tu en croiseras d'autres.

Je crois que mon texte touche à sa fin. Tant mieux car cette tristesse inhabituelle s'estompe.

Ma fille, à vouloir faire rimer ton prénom avec belle, j'ai convié quelques réflexions spirituelles. Mais à apprendre à te regarder longuement, j'ai compris que jamais je ne te perdrai.

Je t'aime.

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